l’établissement d’une « zone d’exclusion aérienne » au-dessus d’un État, dans tout ou partie du ciel qui le surplombe est est une mesure de restriction de souveraineté, très lourde par ce qu’elle interdit de vol, soit pour empêcher les avions militaires de l’État de bombarder soit pour faire respecter les embargos décidés par la communauté internationale.
* Qui peut décider d’une telle mesure ?
Les « no-fly zones », selon le jargon militaire, sont devenues un instrument commun pour stopper des États ou des groupes commettant des crimes contre l’humanité. Elles sont même l’objet d’exercices pour les armées de l’air, notamment dans le cadre de l’OTAN. Dans le passé récent, elles ont été utilisées en Bosnie, au Kosovo, en Irak. Une zone d’exclusion avait été suggérée par les Américains au Darfour, proposition restée sans suite.
En Bosnie et au Kosovo, c’est une résolution de l’ONU qui en a défini les modalités, dans le cadre de l’article VII de la Charte des nations unies qui autorise le recours à la force. La résolution définit alors une zone géographique, la nature des avions concernés, et des règles pour engager la force en cas de violation.
En Irak, à l’issue de la guerre du Golfe, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France avaient pris une décision plus contestée au plan du droit international, car adoptée hors du chapitre VII. Le secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, s’y était opposé. En vue de la protection des populations kurdes et chiites, les trois pays avaient décidé de deux zones d’exclusion successives, en 1991 et en 1992 : la première au nord du 36e parallèle, protégeait notamment la région de Mossoul ; la seconde, au sud du 32e parallèle, incluait Bassorah. Le gouvernement irakien a toujours contesté cette atteinte à sa souveraineté. Et en 1996, quand les États-Unis et la Grande-Bretagne ont décidé d’étendre la zone sud jusqu’au 33e parallèle, la France s’est dissociée de l’opération. Cette mesure est proposée en Libye pour empêcher le bombardement des populations par Khadafi.
* Comment s’organise une zone d’exclusion aérienne ?
On définit d’abord un périmètre géographique au-dessus de l’État belligérant ; c’est un premier sujet politique, difficile, de discussion internationale. Puis on établit l’ampleur de la mesure : est-ce une exclusion complète ou pas ? Vise-t-elle les avions de chasse du pays, ses hélicoptères militaires ? Inclut-elle les avions civils, au risque d’étouffer l’économie de la région? En Bosnie, des avions civils étaient autorisés à voler parmi les avions de la coalition, en zone d’exclusion, une situation très complexe.
La difficulté est ensuite de s’entendre concrètement, entre alliés, sur les « règles d’engagement » en cas de violation de la zone. Pour les aviateurs, ces règles sont graduées : dialogue radio, tirs de semonce… Mais les divergences sont nombreuses entre armées.
Quand les Américains parlent de « kill boxes » – des zones dans lesquelles tout ce qui entre est abattu, contrairement au principe de discrimination du droit de la guerre –, les Français répugnent à admettre ce terme. En Bosnie, le commandement et le contrôle, doublé entre l’ONU et la décision nationale, a créé une pagaille, selon les pilotes qui ont participé à l’opération. A titre d’exemple, la France n’a jamais autorisé le tir sur des hélicoptères, quand bien même le commandement de l’opération le lui ordonnait. En Irak, les pilotes américains et britanniques pouvaient tirer sur un avion hostile après autorisation d’une seule autorité ; les Français devaient avoir un double feu vert.
* Pourquoi est-ce une opération lourde ?
Etablir une zone d’exclusion aérienne demande des moyens considérables, car sa crédibilité se joue sur sa permanence nuit et jour : elle réclame des avions de chasse nombreux, des ravitailleurs en vol, des systèmes de détection. Il faut des radars au sol ou, si ce n’est pas possible (ce serait le cas libyen), des avions de surveillance de type Awacs. Seuls trois pays en disposent principalement : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France.
Il faut ensuite s’entendre sur des systèmes pour identifier, classer les avions (« douteux », « suspects », « hostiles ») et, enfin, les intercepter. Au Kosovo, ce sont six escadrons de cinq avions de chasse qui ont volé, 24 heures sur 24, pendant 78 jours. Sans les ravitailleurs américains, Français et Britanniques n’auraient pas pu assumer ce niveau d’engagement.
* Est-ce efficace ?
La disproportion des forces peut en faire douter. Au Kosovo, les alliés affichaient 1 000 sorties d’avions par jour, contre cinq fois moins pour les adversaires serbes. Deux avions serbes violant la zone d’exclusion ont été abattus. Six en Bosnie. Mais en Irak, la zone de protection a permis le retour des réfugiés kurdes dans le pays. En Libye, des demandes sont parties des opposants au régime face aux bombardements pratiqués sur les foules de manifestants.