SOMALOMO
Niels Marquardt
Un diplomate en réserve
Le soleil brille de mille feux dans le village de Somalomo, dans l’arrondissement de Messamena, province de l’Est. Dans ce bled perdu, en plein cœur de la réserve de faune du Dja, que l’ambassadeur des Etats-Unis, Niels Marquardt, a passé deux jours. Sans eau potable, sans électricité et sans téléphone, des commodités dont le village ne dispose pas. Aucune radio ne peut être captée ici, même pas par les bonnes vieilles ondes courtes. Bref à Somalomo, on est coupé de la civilisation.
Pendant son séjour, le diplomate américain a passé ses nuits dans une case de passage, bien loin du confort douillet de sa résidence de Yaoundé, ou des hôtels de luxe qu’il fréquente habituellement à travers le Cameroun et le monde.
Niels Marquardt ne s’en offusque pas pour autant et, ce 10 avril 2006, il est d’attaque pour une randonnée de près de 5km en pleine forêt, dans la réserve du Dja, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis le 15 décembre 1987. Il va, en compagnie du ministre des Forêts et de la Faune, Hillman Egbé Achuo, à la découverte du rocher du Chouam. Les 4X4 sont garés. Des villageois rassurent la délégation : «Ce n’est pas loin, c’est là devant.»
Avant de commencer sa randonnée, Niels Marquardt, comme à son habitude pendant son séjour dans la réserve du Dja, s’offre une petite danse traditionnelle avec les villageois. Une danse pygmée à laquelle le diplomate s’essaie sous le regard amusé des villageois et de leur chef traditionnel encore ému par les félicitations du diplomate, après le discours franc du notable. Avant de prendre congé de ses hôtes, l’ambassadeur des Etats-Unis donne de l’argent aux différents groupes de danse. La manière d’opérer est simple : discrètement, il sort un billet de banque de sa poche, avance vers les danseurs et comme si de rien n’était, glisse discrètement le billet à la première danseuse qu’il croise en esquissant quelques pas de danse.
La délégation de l’ambassadeur des Etats-Unis peut alors commencer sa randonnée. Elle est constituée de Noelie Wright Young, attachée culturelle, Isabelle Kamé, attachée de presse et Melanie Zimmerman, attachée politique. Cette dernière est l’objet de toutes les curiosités. Comment la décrire ? Disons
c’est une blanche bon teint. Elle a tout d’une GI (les fameux soldats américains). Elle est robuste et infatigable. Une robustesse qui n’enlève rien à sa féminité. Pour tout dire, elle est belle et charmante. Jamais loin de l’ambassadeur, qu’elle conduit partout à la manière d’une bodyguard.
Les randonneurs marchent en file indienne sur une piste jonchée de ronces, de lianes et de racines montantes de toutes sortes, dans une forêt au calme reposant et qui a conservé sa virginité. On entend, au loin, les cris mélodieux des oiseaux, les sifflements des serpents et des hurlements de chimpanzés, éléphants et autres plantigrades. Sur le parcours, certaines essences forestières, sur les 1500 environ que comptent les 526.000ha de la réserve du Dja et dont certaines, dit-on, ont des qualités thérapeutiques et mystiques, sont présentées à Niels Marquardt.
Un coup, l’ambassadeur manque de tomber. Un autre, il a la jambe retenue par une liane, dans cette forêt sauvage et austère. Après près de 2km de marche et d’efforts, la longue procession parvient au pied de deux gigantesques rochers de plus de 3m de haut. A l’intérieur de ces rochers, on est comme dans une case. Sur le flan de ces deux pierres géantes, on peut voir des nids d’oiseaux migrateurs. L’image est magnifique, et suscite chez Niels Marquardt une exclamation comme seuls les Américains savent en faire : «Oh, my God, what a Place !» (Oh, mon Dieu, quel endroit !) Toujours aussi surpris et impressionné, il semble ne pouvoir s’expliquer comment une telle chose peut exister. Il lance: «Dieu est original !» On repart. Il est un peu plus de midi. Le soleil est au zénith, mais la forêt est toujours plongée dans la pénombre : l’épais nuage que forme la végétation, empêche ses rayons de parvenir jusqu’au sol. Beaucoup de randonneurs semblent morts de fatigue, mais impossible de rebrousser chemin. Il faut tenir bon. Après deux autres kilomètres d’efforts, apparaît, enfin, le rocher de Chouam.
Niels Marquardt est toujours aussi impressionné. Il a le regard exorbité, devant cette colline désertique en pleine forêt. Le rocher de Chouam est une sorte de plate-forme, sur laquelle rien ne pousse quasiment. Le sol est rocailleux et noir, comme brûlé. Certains éco-gardes confient que cette colline est volcanique. Du rocher de Chouam, on a une vue panoramique de la réserve du Dja, qui s’étend à perte de vue. «Wonderfull !» s’exclame encore Niels Marquardt, qui se repose à présent sous un rocher.
La fatigue se lit sur la plupart des visages, qui perlent de sueur. Beaucoup ont eu recours à une bouteille de bière, de sucrerie ou à un pot de yaourt.
L’ambassadeur, lui, se contentera d’eau minérale et de quelques biscuits. Alors qu’on le croyait complètement à plat, il se dit d’attaque pour faire le chemin retour, et ne bouderait d’ailleurs une nouvelle destination. Certains, discrètement, le regardent de travers. On est en excursion, pas à une séance de torture, semblent traduire leurs regards.
«Je suis vraiment impressionné, affirme Niels Marquardt. Je n’aurais jamais imaginé un tel rocher, presque tombé du ciel comme une météorite. Des dizaines de kilomètres de forêt vierge, des singes, des chimpanzés, des buffles et des essences comme le bubinga, etc. C’est rare, de voir une telle forêt dans la vie.» Le diplomate n’est pas homme à jouir ‘tout seul de ce genre de plaisir. Il suggère «L’air est très oxygéné ici, et ça donne de l’énergie. Je voudrais dire à vos lecteurs de visiter, pas seulement le Dja, mais Korup et plein d’autres endroits magnifiques dont regorge le Cameroun.»
Visiter la réserve du Dja est bien tentant, mais y parvenir est un véritable chemin de croix, comme d’ailleurs pour une bonne partie des localités de la province de l’Est. Etat des routes lamentable, pas d’hôtels où de lieux de résidence, hôpitaux et centres de santé rares. Dans ces conditions, l’écotourisme que suggère Niels Marquardt (il promet d’ailleurs :»l’ll be back») dans la région, apparaît presque comme un vœu pieu. Du moins, si rien n’est fait.
La petite population de la réserve en est consciente et ne manque pas de le signaler avec un franc parlé que Niels Marquardt reconnaît. Il affirme d’ailleurs au porte-parole des pygmées de Fololone que les Américains et ceux-ci ont cette qualité en commun. C’est que le diplomate a été touché par le discours du porte-parole des populations de ce campement qui, sans économie sur les détailles dénonce leurs mauvaises conditions de vie et affirme qu’ils ne mettront fin au braconnage que lorsqu’on leur proposera une autre alternative à la chasse qui représente désormais leur seul moyen de survie. «Nos enfants parcourent des kilomètres pour se rendre à l’école et le ventre vide. Nous vivons de la générosité des touristes devenus de plus en plus rare», achève-t-il.
Une rareté certainement due au chemin de croix que représente l’accès à la réserve du Dja situé à peine à 300km de Yaoundé. Magnifique endroit peu visité du reste : seul deux voyages sont organisés par semaine pour y aller. Soit le lundi et le mercredi ou le mardi et le vendredi.
Jean-Bruno Tagne
Journaliste à Mutations
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