Si on admet avec Ana Mendes que la deuxième chambre « permet une représentation diversifiée des composantes de la Nation », il est utile cette semaine de dresser à l’intention des lecteurs un inventaire, une typologie des composantes de la Nation ainsi représentées par le sénat. L’on reprendra le triptyque dressé par ce dernier auteur, selon lequel la représentation de la seconde chambre peut être de nature territoriale, sociale ou traditionnelle. L’on y ajoutera un quatrième élément tout aussi important, je que j’appelerai la différenciation sociale.
Le sénateur représente d’abord un territoire décentralisé
Le principe de territorialité du sénat est revendiqué comme un mode privilégié de représentation.
Au Burkina-Faso, il s’agit d’une représentation territoriale du peuple indivisible : selon l’article 1er de la loi organique n°049/98/AN du 18 novembre 1998 portant composition, attribution et fonctionnement de la chambre des Représentants, les 45 conseils provinciaux désignent en leur sein 90 représentants sur 162) à raison de 2 par conseil.
Au Maroc, les 3/5e (soit 162 sur 270) des membres de la Chambre des Conseillers sont élus dans chaque région par un collège électoral composé de représentants des collectivités locales.
On retrouve un système comparable au Sénégal, où 15 des 60 sénateurs sont élus dans un cadre régional à raison de 4 à 7 sièges pour chacune des 10 régions par un collège électoral composé de députés, de membres des conseils locaux, municipaux ou régionaux.
Mais c’est en Amérique latine que ce système est le plus répandu : ainsi les 27 sénateurs boliviens sont-ils élus au suffrage universel direct dans le cadre de 9 circonscriptions plurinominales à 3 sièges, correspondant aux départements du pays.
Tel est également le cas de 38 sénateurs chiliens (sur 47) élus dans chacune des 13 régions du pays, dans le cadre de 19 circonscriptions plurinominales correspondantes, à l’exception de 6 régions qui sont divisées en 2. 7 régions ont ainsi deux sièges, 6 autres ayant 4 sièges, à raison de 2 sièges pour deux districts.
Même chose en République Dominicaine, où le Sénat comprend 30 membres élus au scrutin direct uninominal majoritaire à raison de 1 sénateur pour chaque province et 1 pour le District national.
Les 27 sénateurs haïtiens sont également élus au scrutin direct, dans le cadre départemental à raison de 3 par département.
Dans 3 pays toutefois, les sénateurs sont aussi, certes, élus au scrutin direct, mais dans le cadre d’une circonscription unique plurinominale : Colombie (100 sénateurs), Paraguay (45 membres) et Uruguay (30 membres).
Le sénateur représente politiquement les intérêts socioprofessionnels
L’idée d’une représentation politique des intérêts socioprofessionnels au sein d’une deuxième chambre parlementaire avait pu apparaître dans certains textes constitutionnels, à l’exemple de la Constitution allemande de Weimar de 1919.
Il n’est jusqu’au Général de Gaule qui, en 1969 encore, tentait de fusionner le Sénat et le Conseil économique et social en vue de donner naissance à une nouvelle seconde chambre de nature socioprofessionnelle.
Le Doyen Léon Duguit, l’un des maitres du Droit public français était un grand propagandiste de la représentation professionnelle : « Je crois que le moment n’est pas éloigné où, dans beaucoup de pays et en France notamment, des deux chambres composant le parlement, l’une sera élue au suffrage direct et universel, avec représentation proportionnelle des partis politiques, et l’autre élue aussi au suffrage direct et universel, avec représentation des groupe professionnels. »
La représentation socioprofessionnelle est privilégiée aujourd’hui au Burkina-Faso puisque, sur les 178 Représentants, 118 représentent les différents groupes d’intérêt (article 3 de la loi organique N°049/98/AN du 18 novembre 1998) : 60 représentants pour les associations féminines, les districts ruraux, les forces militaires, les syndicats, les citoyens résidant à l’étranger, la communauté traditionnelle, à raison de 10 par catégorie ; 20 représentants pour les associations sportives, d’artistes, de la jeunesse, des droits de l’homme, du secteur informel, à raison de 4 par catégorie ; 6 représentants désignés par le Président de la République ; 14 autres catégories ont enfin chacune 2 représentants.
Au Maroc, 2/5 des 270 conseillers (soit 108) sont élus dans chaque région par des collèges électoraux composés d’élus des chambres professionnelles (industrie, agriculture, artisanat, commerce, services, pêches maritimes) et des membres élus à l’échelon national par un collège électoral composé de représentants des salariés.
Le sénateur est aussi une différenciation sociale
Le sénateur est une réussite sociale. On trouve assez souvent, au sein de la deuxième chambre, des personnes qui doivent à leur propre talent, à leur mérite, le droit d’y siéger. Ils sont illustres. Être illustre, c’est être distingué : c’est pourquoi ces membres sont nommés par celui qui est théoriquement le plus apte à les discerner, c’est-à-dire le Chef de l’Etat.
Au Cameroun ils seront 30 sur 100.
Au Conseil de la Nation en Algérie 1/3 des 144 membres (soit 48) est désignée par le Président de la République en raison de leurs compétences scientifiques, culturelles, professionnelles, économiques et sociales.
En Inde, 12 des 245 membres du Conseil des Etats sont des personnalités nommées par le Chef de l’Etat en raison de leurs distinctions dans les domaines de la littérature, de l’art, des sciences et du social.
Au Népal, 10 des 60 membres du Conseil national sont nommés par le Roi parmi les personnes de grande réputation, qui ont rendu d’éminents services dans différents domaines de la vie nationale.
En Italie, le président de la République peut nommer sénateur à vie 5 citoyens méritants.
En Jordanie, c’est même l’ensemble du sénat, 40 membres qui sont nommés par le Roi.
Le sénateur dispose enfin d’une représentation traditionnelle
La tradition est-elle représentable ? La question n’est pas anodine, dans la mesure où, selon l’opinion du Doyen Gélard, « ce qui est un élément inquiétant , c’est de voir se multiplier des formules pas toujours représentatives et où la préoccupation essentielle est de maintenir la tradition ».
Mais la tradition n’a pas disparu avec l’Etat, ne serait-ce que parce que l’Etat n’est pas lui-même un phénomène spontané : c’est un phénomène historique, d’intensité et d’amplitude variable. Telle est notamment la raison pour laquelle les règles traditionnelles sont encore aujourd’hui présentes dans nombreux systèmes juridiques.
Même si la notion de constitution s’est imposée en tant que formulation idéale par la raison humaine, il ne lui est pourtant pas possible, comme le montre la réalité des faits, de prétendre tout dire, tout réguler: il lui faut composer, sinon ruser, avec l’histoire et, dans celle-ci, avec la tradition.