A. Position du problème
La police administrative a pour but la recherche générale de l’ordre public. La police
judiciaire a pour mission de découvrir les infractions, d’en rechercher les auteurs, de les
confier aux tribunaux. La police judiciaire agit donc en application de règles de procédure
pénale, pour l’application ultime du droit pénal, alors que la police administrative n’est
encadrée, dans le champ potentiellement vaste de ses interventions, que par le droit
administratif. De là vient la nécessité d’un étroit contrôle des mesures de police
administrative, ainsi qu’une question de compétence.
Le contentieux de la police administrative appartient en principe à la juridiction
administrative, qu’il s’agisse de contester la légalité des mesures de police ou de poursuivre
une personne publique à raison des dommages causés par la réalisation de ces mesures.
Le contentieux de la police judiciaire dans les mêmes hypothèses appartient au contraire à
la juridiction judiciaire, sauf dans un cas : l’action contre une personne publique des
personnels de police ou des collaborateurs occasionnels de la police en réparation des
dommages qu’ils auraient pu subir (CE Sect., 17 avril 1953, Pinguet, Rec.177 (sol. impl.), D
1954.7, note Morange, S 1954.3.69, note Robert; CE Sect., 11 octobre 1957, Commune de
Grigny, Rec.524, RD publ. 1958.298, concl. Kahn, note Waline, AJDA 1957.2.499, chr.).
Le problème de distinction entre police administrative et police judiciaire se pose parce que
ces deux sortes de police ont un personnel commun : elles sont donc parfois
organiquement confondues. Par exemple, les préfets, les maires sont à la fois des autorités
administratives et des autorités de police judiciaire. Il arrive aussi que police administrative
et police judiciaire soit fonctionnellement successives, c’est-à-dire qu’une activité relevant
au départ de la police administrative se transforme en activité de police judiciaire.
B. Principe de distinction
L’état du droit provient résulte de la jurisprudence Baud-Noualek. Cette jurisprudence écarte
nettement le prétendu fondement du caractère préventif de la police administrative et du
caractère répressif de la police judiciaire. En effet, la police administrative n’est pas toujours
préventive, elle intervient par exemple en matière d’insalubrité avec l’objectif de faire cesser
des troubles à l’ordre public, en usant au besoin de pouvoirs de sanction. La police
judiciaire, quant à elle, est parfois préventive. Comme le remarque J. Moreau “ l’idée qui
associe prévention des troubles menaçant l’ordre public et police administrative n’est pas
fausse : c’est une approximation, non un critère de définition ” (Dr. adm., p. 355). Le critère
de distinction est totalement finaliste.
Le juge administratif recherche l’intention des auteurs de la mesure de police, le but de la
décision ou de l’opération à qualifier. Il y a police judiciaire si les actes ou les faits juridiques
à qualifier sont en relation avec une infraction pénale déterminée (CE Sect., 11 mai 1951,
Consorts Baud, Rec.265, S 1952.3.13, concl. J. Delvolvé, note Drago, mort d’un tiers dans la
recherche de personnes ayant commis des infractions). A l’inverse, en l’absence de relation
avec une telle infraction, les mesures appartiennent à la police administrative (TC, 7 juin – 2 –
Droit administratif général – L2 Droit
1951, Dame Noualek, Rec.636, concl. J. Delvolvé, S 1952.3.13., note Drago, blessures
occasionnées par une arme à feu à un tiers lors d’une opération de maintien de l’ordre; TC,
26 mars 1990, Devossel, Dr. adm. 1990.331).
C. Mise en œuvre du principe
1. Précisions
Relèvent de la police judiciaire les actes et opérations qui sont destinées à réaliser la
répression d’une infraction déterminée. Une infraction déterminée n’est pas forcément déjà
commise, il peut s’agir d’infractions sur le point d’être commises (cas des souricières pour
les flagrants délits : TC, 27 juin 1955, Dame Barbier, Rec.624). Une infraction déterminée
n’est pas une infraction qui sera certainement commise. Seule suffit la possibilité de
commission de l’infraction. Si le comportement d’un individu est de nature à laisser croire
qu’il va commettre un délit, les opérations de contrôle d’identité, de poursuite et
d’arrestation relèvent de la police judiciaire (TC, 15 juillet 1968, Consorts Tayeb, Rec.791, D
1968.417, concl. Schmelck; CE, 19 mai 1982, Volbrecht, Rec.563). Enfin, une infraction
déterminée n’est pas une infraction réellement commise. Ces opérations sont qualifiées de
police judiciaire même si le flagrant délit ne se produit pas, même si le délit prévu ne s’est
pas concrétisé, et surtout, même s’il s’agit d’une erreur de l’autorité de police judiciaire qui a
cru reconnaître un délit, là où il n’y en avait pas (CE, 18 mai 1981, Consorts Ferran, Rec.148,
D 1981.IR.283, obs. Delvolvé, RD publ. 1981.1464, mise en fourrière par erreur d’une
voiture, compétence judiciaire de l’action en responsabilité pour dommages causés au
véhicule; sur la distinction entre police administrative et police judiciaire en cette matière,
CE, 13 janvier 1992, Grasset, Rec.xxx, RD publ. 1992.1470, note J.-M. Auby).
Le domaine des mesures et opérations de police judiciaire n’est donc pas si limité qu’il y
paraît. Peu importe par exemple que les mesures aient été accomplies sur instruction du
Parquet.
2. Intérêt
Le critère actuel de distinction présente trois intérêts. Tout d’abord il est conforme au
principe de séparation des pouvoirs, qui interdit à la juridiction administrative de s’immiscer
dans la compétence judiciaire. Ensuite, il est en harmonie avec les dispositions de l’article
14 du C. Pr. pén. qui définit la police judiciaire. Enfin, il permet au juge administratif
d’exercer un contrôle très approfondi de la réalité matérielle, et notamment de requalifier
en mesures de police administrative des mesures présentées par leurs auteurs comme
relevant de la police judiciaire (CE Ass., 24 juin 1960, Soc. Le Monde et Soc. Frampar (deux
arrêts), Rec.412, concl. Heumann, AJDA 1960.1.154, chr., D 1960.744, note Robert, S
1960.348, note Debbasch : les préfets détenaient de l’article 30 C. pr. pén. le pouvoir,
relevant de la police judiciaire, de faire saisir les éléments de preuve des infractions pénales;
le Préfet d’Alger avait invoqué ce fondement pour faire saisir l’intégralité des numéros des
journaux Le Monde et France Soir, alors qu’il ne s’agissait que d’un moyen de mainteniir
l’ordre public. En l’absence d’infraction déterminée, le Conseil d’État affirmant sa propre
compétence a jugé qu’il s’agissait en réalité d’un acte de police administrative).
3. Difficultés
Il n’est pas impossible que les mesures et les opérations de police changent de nature et
donc de qualification en raison de l’évolution de la situation.
Une opération de police administrative peut ainsi devenir une opération de police
judiciaire. Par exemple dans l’affaire Demoiselle Motsch (TC, 5 décembre 1977, Demoiselle – 3 –
Pr Gilles J. GUGLIELMI – Univesité Panthéon-Assas (Paris-II)
Motsch, Rec.671, AJDA 1978.444, chr.). Un automobiliste qui avait pris en charge une auto
stoppeuse force un barrage établi en vue de réaliser un contrôle d’identité. Il brûle alors
plusieurs feux et prend une voie à sens interdit. Un policier tire sur la voiture et blesse la
passagère. L’action en dommages et intérêts de celle-ci dirigée contre une personne
publique, l’Etat, relève de la compétence judiciaire, parce que les opérations qui suivent le
franchissement du barrage sont des opérations de police judiciaire (utilisation d’une arme
dans l’intention d’arrêter l’auteur de plusieurs infractions).
D’autres cas sont apparemment plus difficiles à régler, mais le Tribunal des conflits adopte
un principe unificateur destiné à simplifier la matière. Ainsi, dans l’affaire Le Profil (TC, 12
juin 1978, Soc. Le Profil, Rec.648, concl. Morisot, AJDA 1978.444, chr., D 1979.IR.50, obs.
Moderne). La caissière d’une société se rend à la banque pour y retirer des espèces, escortée
par des agents de police. Malgré cela des malfaiteurs lui arrachent la mallette et s’enfuient
sans que les policiers puissent intervenir ou jugent bon de le faire. La société saisit le
tribunal administratif, elle invoque une mauvaise organisation des services. Saisi de la
question de la qualification des opérations, le Tribunal des conflits reconnaît la compétence
de la juridiction administrative au motif que le préjudice, intervenu au cours d’une
opération qui, de police administrative (protection des personnes et des biens), est devenue
une opération de police judiciaire (infraction constituée, inaction des policiers dans la
poursuite), résulte essentiellement des conditions d’organisation de la police administrative.
Il est donc inutile d’exercer deux actions en réparation en séparant ce qui relèverait de la
police administrative et de la police judiciaire. La nature de l’opération a changé mais on
n’en tient pas compte : la réparation relève pour l’ensemble de la juridiction administrative.
La solution ainsi adoptée se résume au principe que la compétence est établie en
considération de la nature de l’opération de police dans laquelle le dommage trouve sa
cause. Cette solution explique une jurisprudence traditionnelle, concernant les dommages à
l’occasion du franchissement de barrages de police lorsqu’ils ne sont pas suivis d’infractions
pénales distinctes. La compétence pour juger de l’action en responsabilité des victimes est
toujours administrative parce que le dommage a essentiellement sa cause dans l’opération
de police administrative (CE Ass., 24 juin 1949, Consorts Lecomte, Rec.307, RD publ.
1949.583, note Waline, S 1949.3.61, concl. Barbet).
Section III : Contrôle de légalité des mesures de police
administrative
La police administrative est peut-être plus contrainte qu’on ne le croit en général, dans la
mesure où, essentiellement, elle ne peut être exercée que par des mesures “ sèches ”
d’interdiction. D’autres mesures préventives et complémentaires sont traditionnellement
exclues par le juge administratif, en ce qu’elles constituent de toutes façons des limitations
aux libertés publiques. Ainsi, il n’est pas possible à l’autorité de police d’imposer, à
l’exercice d’une activité privée, un régime de déclaration ou d’autorisation qui n’aurait pas
été prévu par une loi (CE ass. 22 juin 1958, Daudignac, Rec.363, D 1951.589, note J.C. ; sauf
en cas d’usage du domaine public, CE 22 juin 1983, Ville de Lyon, Rec.269). De même,
l’interdiction ne peut pas être assortie de la prescription des moyens appropriés pour la
respecter (CE ass., 4 janvier 1935, Dame Baron, Rec.16, DH 1935.150). Enfin, une
interdiction ne peut pas prévoir elle-même sa propre exécution forcée, puisqu’elle
n’appartient pas en général aux pouvoirs de l’autorité administrative (CE ord., 29 juillet
1997, Commune de Sorgues, RFD adm. 1998.383, note Frier).
§ 1. – Conditions générales de légalité
A. Contraintes tirées de la nature des actes
Les conditions générales de légalité des mesures de police administrative sont celles de tout
acte administratif : l’auteur doit être compétent, les formes et procédures prévues pour leur
édiction doivent être respectées. Ces mesures doivent aussi avoir été prises en vue du
maintien de l’ordre public et conformément aux règles de fond du droit qui leurs sont
applicables. A cet égard, tout le principe de légalité leur est applicable, comme l’a rappelé le
juge administratif en soumettant l’exercice d’une police spéciale au respect du droit de la
concurrence (CE sect. Avis, 22 novembre 2000, Sté L&P publicité, AJDA 2001.198, note
M-.C. Rouault, RD publ. 2001.393 note C. Guettier : la réglementation de l’affichage
publicitaire ne doit pas placer un afficheur en situation d’abuser de sa position dominante).
On doit cependant signaler que ces conditions générales sont marquées d’un principe qui
est la conséquence du fait que les personnes publiques ne peuvent pas déléguer leurs
pouvoirs de police à des personnes privées : les actes de police administrative sont
obligatoirement des actes unilatéraux. Une autorité de police ne pourrait pas limiter sa
propre compétence en plaçant par exemple l’exercice de ses pouvoirs de police
administrative dans le cadre d’un contrat. Ce contrat serait de nul effet entre les parties
(CE, 5 novembre 1943, Leneveu, Rec.243), inopposable aux tiers qui pourraient en
demander l’annulation (CE, 8 mars 1985, Assoc. Les amis de la Terre, Rec.73, AJDA
1985.382, note Moreau; RFD adm. 1985.363, concl. Jeanneney), dépourvue de portée en
matière de responsabilité (CE, 28 mai 1958, Consorts Amoudruz, Rec.301, AJDA 1958.309,
chr.).
Enfin, les mesures de police administrative n’ont jamais été considérées comme des
sanctions. Leur nature est différente : même individuelles, elles sont prises avant tout dans
un but d’ordre public. Il en résulte, d’une part que la CESDH ne leur est pas applicable – 5 –
Pr Gilles J. GUGLIELMI – Univesité Panthéon-Assas (Paris-II)
(pas d’équivalence avec une accusation en matière civile ou pénale ; CE, 3 novembre 1989,
Blanquie, Rec.429) ; d’auutre part que la sanction applicable est régie par les textes en vigueur
au moment de la décision même s’ils sont plus sévères qu’au moment des faits (CE, 30
janvier 1988, Elfenzi, Rec.17, AJDA 1988.223, concl. Vigouroux).
B. Obligation au fond de prendre des mesures de police
administrative
En contrepartie, il peut arriver que l’autorité compétente pour édicter des mesures de
police administrative soit tenue de prendre ces mesures, c’est-à-dire qu’elle soit obligée
d’exercer son pouvoir de police. Lorsque cette obligation existe, elle emporte les
conséquences habituelles : le refus de prendre ces mesures est illégal, il est susceptible de
recours pour excès de pouvoir, il engage, en cas de préjudice, la responsabilité de la
personne publique compétente. Il en va ainsi dans deux types de situations.
Tout d’abord, l’autorité de police compétente est tenue de prendre les mesures de police
nécessaires à l’application d’une réglementation existante. L’autorité compétente peut être la
même que celle qui a édicté la réglementation. Les mesures d’application peuvent être des
opérations matérielles, des actes individuels, ou des actes réglementaires (CE, 3 avril 1968,
Jardin, Rec.233, AJDA 1968.480, le refus d’un maire de prendre les mesures nécessaires à
l’application d’un règlement municipal, par lui édicté, interdisant l’exposition nocturne des
poubelles, est illégal; CE Ass., 20 octobre 1972, Marabout, Rec.664, AJDA 1972.625, concl.
Guillaume, chr., RD publ. 1973.832, note Waline, le préfet doit assurer l’application des
interdictions de stationnement qu’il édicte; CE, 23 juin 1976, Latty, Rec.329, RD publ.
1977.865, le maire doit faire respecter la réglementation préfectorale).
Mais de plus, dans certains cas, une autorité de police peut être tenue soit d’exercer son
pouvoir réglementaire (CE Sect., 23 octobre 1959, Doublet, Rec.540, RD publ. 1959.1235
concl. Bernard, et 802, note Waline, D 1960.191, note Lavroff), soit de prendre des
décisions individuelles (CE, 21 juin 1968, Dame Spiaggeri, Rec.380), hors de toute référence
à une réglementation existante. Il appartient à l’autorité administrative « de prendre toute
mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public » (CE ass., 27 oct. 1995, Commune de
Morsang-sur-Orge, préc.). Elle ne peut pas déléguer les missions de police à des tierces
personnes (sauf le cas des présidents de EPCI). La police du stationnement sur la voie
publique (hors parcs privés), doit être assurée par la commune en régie (CE, 1er
avr. 1994,
Commune de Menton, Rec.175). Il en est de même des patrouilles de police dans les quartiers
(CE, 29 déc. 1997, Commune d’Ostricourt).
La jurisprudence soumet cette obligation d’exercer les pouvoirs de police à trois conditions.
Il faut que l’intervention par mesure de police soit indispensable; qu’elle ait pour but de
faire cesser un péril grave; que ce péril provienne d’une situation dangereuse pour l’ordre
public. Mais le juge administratif constate rarement que ces conditions sont réunies
s’agissant d’annuler des actes (dernier ex. CE, 8 juillet1992, Ville de Chevreuse, Rec.281). En
revanche, il a fréquemment accepté d’indemniser les victimes de préjudices causés par
l’abstention de certaines mesures de police -sans préciser toujours les motifs de l’obligation
de prendre ces mesures- (CE, 5 mars 1971, Le Fichant, Rec.185, AJDA 1971.680, note
Moreau; CE Sect., 13 mai 1983, Dame Lefebvre, Rec.194, AJDA 1983.476, conl. Boyon,
pour le défaut de mesures destinées à assurer la sécurité des baigneurs; CE, 22 décembre
1971, Commune de Mont-de-Lans, Rec.789, JCP 1973.17289, note Rabinovitch, quant à la
sécurité des skieurs; CE Ass., 9 avril 1993, M. G…, Rec.xxx, concl. Legal, RFD adm.
1993.583, AJDA 1993.381, chr., produits sanguins non chauffés, carence dans l’utilisation
des pouvoirs de police sanitaire, responsabilité pour faute simple).
Enfin, le manquement à l’obligation d’assurer la sécurité publique au moyen de la police
administrative n’est pas en soi une atteinte grave à une liberté fondamentale au sens du
référé-liberté (CE ord., 20 juillet 2001, Commune de Mandelieu la Napoule, RFDA 2001.1138)
§ 2. – La subordination de la légalité des mesures de
police administrative à leur nécessité
Il est clair que l’appréciation de la nécessité d’une mesure de police est subjective. La
pratique de l’appel, qui conduit le Conseil d’État, juridiction du second degré, à juger une
nouvelle fois les faits et à procéder lui-même à la qualification juridique de ces faits le
montre à l’envi. Nombreuses sont les affaires où la solution s’inverse entre les premiers
juges et les seconds (CE, 13 mars 1968, Époux Leroy, préc.; CE, 16 juin 1976, Ville de
Menton, Rec. 1032, RD publ. 1977.243).
A. Principe
Pour qu’une mesure de police soit légale, il faut qu’elle satisfasse aux exigences du principe
de légalité, mais il faut de plus, et c’est une particularité du contrôle, que cette mesure
apparaisse nécessaire au maintien de l’ordre public. Parce que les mesures de police portent
atteinte aux libertés publiques, que ce soit en matière de police générale ou de police
spéciale, quelle que soit la liberté en cause, elles ne peuvent être légales que si, et dans la
mesure où, elles sont nécessaires.
La nécessité des mesures de police est contrôlée par le juge administratif. C’est-à-dire que la
nécessité est ici une condition de la légalité. On trouve l’expression de ce principe dans la
jurisprudence Benjamin (CE, 19 mai 1933, Benjamin, Rec.541, D 1933.3.354, concl. Michel,
S 1934.3.1, note Mestre, illégalité de l’interdiction d’une réunion publique, interdiction non
nécessaire dès que d’autres moyens auraient pu être employés pour assurer la tranquillité
publique; à CE, 26 juin 1987, Guyot, AJDA 1987.689, obs. Prétot, RD publ. 1988.582,
illégalité de la fermeture d’un bal, cette mesure n’étant pas nécessaire pour assurer la
tranquillité).
Les mesures de police administrative sont ainsi reconnues légales lorsque l’ordre public
n’aurait pas pu être maintenu sans qu’elles aient été prises, ce qui est une preuve de leur
nécessité (CE Sect., 3 février 1978, CFDT et CGT, Rec.47, AJDA 1978.388, note Durupty,
RD publ. 1979.535, note Waline, interdiction de distribuer des documents aux occupants
des voitures en circulation sur la voie publique). Les atteintes à l’ordre public ne peuvent
pas être évitées par des mesures moins contraignantes (CE, 21 janvier 1994, Commune de
Dannemarie-les-Lys, RD publ. 1994.589).
B. Interdictions générales et absolues
Il est d’usage de dire que les interdictions générales et absolues sont toujours reconnues
illégales par le juge administratif. En réalité, ces interdictions sont souvent illégales parce
qu’il n’est pas nécessaire qu’elles soient générales ou absolues. Un exemple classique en est
donné dans la jurisprudence dite des photofilmeurs. A l’époque où il n’existait ni procédé
polaroïd, ni caméscope, certains photographes prenaient un cliché de personnes passant sur
la voie publique en leur proposant de tirer le lendemain la photo contre paiement. Certains
maires avaient par arrêté interdit l’exercice de cette activité sur la voie publique. Le Conseil d’État a annulé des décisions contraires à la liberté du commerce et de l’industrie, parce
que, au lieu de limiter cette interdiction à certains lieux encombrés ou à certaines heures ou
encore à l’assentiment des personnes photographiées, quelques maires avaient tout
bonnement interdit l’activité, c’est-à-dire pour certains photographes, l’exercice de
l’essentiel de leur profession (CE Ass., 22 juin 1951, Daudignac, Rec.363, D 1951.589, note
J.C.). Cette jurisprudence a reçu de nombreuses illustrations dans des domaines variés (CE,
5 février 1960, Commune de Mougins, Rec.83, interdiction absolue des aboiements de chiens;
CE, Sect. 4 mai 1984, Guez, Rec.164, AJDA 1984.393, concl. Dutheillet de Lamothe,
interdiction générale et permanente de toutes activités musicales et artistiques dans une
zone piétonnisée autour du Centre national d’Art et de Culture; CE, 16 janvier 1987,
Auclair, Rec.848, Dr. adm. 1987.65, interdiction absolue de vendre des glaces sur le domaine
public, spécialement sur les plages ; CE, 10 mars 2004, Assoc. Promouvoir, AJDA 2004.983,
concl. Boissard, refus légal d’interdire une publication).
Le préfet de la Manche, lui aussi, avait interdit l’activité des photofilmeurs pendant la saison
touristique sur la route menant au Mont-Saint-Michel et sur les aires de stationnement
attenantes. A l’inverse du cas précédent, le Conseil d’État juge que l’interdiction est légale
parce qu’il apparaît que cette activité pratiquée dans ces lieux présente des dangers
“ auxquels il n’était pas possible de remédier par une mesure moins contraignante ” (CE,
13 mars 1968, Époux Leroy, Rec.178, AJDA 1968.221, chr.). Peuvent ainsi se trouver
justifiée des interdictions très sévères (CE, 15 décembre 1961, Chiaretta, Rec.709, AJDA
1962.57, chr., Rev. adm. 1962.44, concl. Braibant; CE, 22 février 1961, Lagoutte et Robin,
Rec.135; CE, 14 mars 1973, Almela, Rec.213)