La recevabilité d’un recours contre un acte administratif est subordonnée au caractère faisant grief de cet acte. Certaines mesures administratives, comme les directives et des circulaires, sont inattaquables du fait de l’absence d’élément de décision. Les premières s’intéressent à la façon de prendre les décisions, les secondes au contenu de la décision à prendre. C’est ce second type d’actes qui est en cause en l’espèce.
Ainsi, la Commission nationale du fond national de l’amélioration de l’habitat édicte une directive. C’est sur cette base, qu’une commission départementale refuse l’octroi d’une allocation à Mme. Gaupillat et Mme. Ader. Les intéressés demandent, alors, au tribunal administratif de Paris, d’annuler cette décision, ce qu’il fait. Le ministre de l’urbanisme saisit donc le Conseil d’Etat. Ce dernier fait droit à cette demande et annule le jugement du tribunal administratif de Paris le 11 décembre 1970 par un arrêt de section.
La solution rendue par le Conseil d’Etat se base sur l’absence d’erreur de droit. En effet, la décision prise par la commission départementale se base sur une directive. Avec cet arrêt, le Conseil d’Etat consacre, pour la première fois, la notion des directives. A la différence des circulaires qui s’intéressent à la façon de prendre les décisions, la directive s’intéresse au contenu de la décision à prendre. Elle fixe au pouvoir discrétionnaire de l’Administration une ligne générale à suivre. L’autre différence avec les circulaires est qu’une autorité administrative peut fonder une décision individuelle sur une directive. En revanche, certaines conditions touchant à la légalité de la directive doivent être respectées. Les plus importantes touchent à l’obligation d’individualiser la solution retenue. En effet, la directive ne doit pas priver l’Administration de son pouvoir d’appréciation.
Il convient donc d’essayer, dans une première partie, de définir ce que sont les directives (I), puis d’analyser, dans une seconde partie, les conditions de leur légalité (II).
I – Essai de définition des directives
Pour mieux les comprendre, il est possible de tenter de définir la notion de directive (A), puis d’analyser leur portée (B).
A – La notion de directive
Avec les directives, l’Administration se fixe une ligne de conduite (1). Cela répond au souci de pouvoir faire preuve de souplesse (2).
1 – La fixation d’une ligne de conduite
La directive permet à une autorité administrative disposant d’un pouvoir d’appréciation de définir à l’avance, sans renoncer à exercer ce pouvoir, les orientations générales suivant lesquelles elle l’exercera. C’est une codification des motifs susceptibles d’être invoqués par l’Administration. Il s’agit de documents par lesquels l’Administration se fixe, à l’avance, une ligne de conduite, une doctrine quant au contenu des décisions à prendre. Ici, on s’intéresse au contenu des décisions à prendre et non à la façon de procéder comme dans le cas des circulaires.
Cela concerne uniquement les hypothèses où l’Administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire : le contenu des décisions à prendre n’est pas prédéterminé par les textes à appliquer, l’Administration a une marge d’appréciation quant au contenu des décisions à prendre.
A quels considérations obéissent les directives ?
2 – Le but des directives
Les directives interviennent dans des domaines où des procédés d’action souples sont nécessaires. La loi et les règlements laisse le choix des décisions individuelles à la libre appréciation de l’Administration. Il est nécessaire de laisser à l’autorité d’application une marge d’appréciation en raison de l’adaptation constante aux fluctuations de la conjoncture. Il s’agit surtout du domaine économique, de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, du domaine social. Dans ces différents domaines, il y a des possibilités d’octroi d’avantages, d’aides financières. De plus, souvent, le pouvoir d’accorder ces avantages est conféré à des collectivités déconcentrées ou décentralisées ou à des organismes privés. Les questions sont donc importantes.
Tout cela est susceptible de poser beaucoup de problèmes. D’abord, les administrés sont dans l’incertitude sur le point de savoir comment l’Administration agira et si elle agira. Ensuite, il y a des risques de contradiction ou de discriminations involontaires (donc atteinte entre l’égalité des candidats) entre les administrés. Se pose aussi un problème de cohérence de l’action administrative. Les lois et les règlements qui permettent l’octroi de tels avantages correspondent toujours à une politique déterminée. Si l’on veut que celle-ci soit efficace, il faut que l’application de ces textes soit cohérente. La directive permet de dépasser ces inconvénients tout en préservant la souplesse de l’action administrative. D’abord, les administrés connaissent l’orientation de la directive parce qu’elle la fixe et qu’elle est publiée (art. 9 loi 17/07/1978). Ensuite, les discriminations involontaires sont évitées puisqu’une ligne de conduite est fixée. Et, la cohérence de l’action administrative est préservée.
Quelle est la portée de ces directives
B – La portée des directives
Les directives n’ont pas d’effets directs sur les administrés (1), mais ont, à leur égard, des effets indirects (2)/
1 – L’absence d’effets directs
Les directives n’ont pas d’effets directs sur les administrés, donc elles ne sont pas susceptibles d’un REP. La directive n’édictant pas de dispositions impératives privant les autorités intéressées de leur liberté d’appréciation, elle ne modifie donc pas la situation juridique des administrés. Ne faisant pas grief, elles ne sont pas attaquables. La situation juridique des administrés ne sera modifiée qu’après l’édiction d’une décision les concernant (prise sur la base de la directive). Mais, si elle contient une règle de droit nouvelle, elle sera assimilée à un règlement et traitée comme tel. En l’espèce, ce n’est pas le cas. Le Conseil d’Etat note bien que la directive en cause d’édicte aucune condition nouvelle à l’octroi de l’allocation concernée.
En revanche, les directives ont des effets directs sur les administrés.
2 – L’existence d’effets indirects
Mais, les directives ont des effets indirects sur les administrés dans la mesure où les décisions qui vont être prises les concernant, vont l’être sur la base de ces directives.
Elles sont, d’abord, opposables aux administrés. L’Administration peut se fonder explicitement pour justifier ses décisions sur la directive faisant valoir à l’administré ou au juge administratif que la décision contestée a été prise conformément à la directive. Il n’y aura pas d’erreur de droit.
Elles sont, ensuite, invocables par les administrés. Ils peuvent invoquer la directive pour contester les décisions prises en démontrant que ces décisions ne sont pas justifiées au regard de la directive dont elles procèdent.
Enfin, le recours en exception d’illégalité est possible. Les administrés peuvent attaquer une décision procédant d’une directive et faire valoir que celle-ci est illégale car prise sur le fondement d’une directive elle-même illégale.
Il est possible, à présent, d’en venir à l’examen de la légalité des directives.
II – La légalité des directives
Il importe, au préalable, d’analyser la jurisprudence consacrant les directives (A), puis d’en venir aux conditions de leur légalité (B).
A – La consécration par le Conseil d’Etat
Ce n’est qu’en 1970 que le Conseil d’Etat a consacré la notion de directive (1). Il avait choisi, un an auparavant, la solution inverse (2).
1 – La solution de 1969
Le CE considère que l’autorité administrative, en l’absence de textes lui donnant une véritable compétence réglementaire, ne tient pas de son pouvoir d’organisation des services publics placés sous ses ordres la possibilité d’édicter les directives définissant à l’avance les conditions auxquelles elle subordonne par exemple l’octroi de tel ou tel avantages (CE, 23/05/1969, So. Distillerie Braibant). Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat refuse de reconnaître un pouvoir réglementaire aux ministres. Il change de position un an plus tard.
2 – L’arrêt Crédit foncier de France
Avec cet arrêt, le Conseil d’Etat consacre la notion de directives (CE, sect., 11/12/1970, Crédit foncier de France). Ne pouvant reconnaître un pouvoir réglementaire aux autorités disposant d’un pouvoir d’appréciation, le CE leur reconnaît un pouvoir d’orientation. Les directives ne décident pas, elles orientent, fixent les critères à mettre en œuvre, prévoient les motifs des décisions à prendre. Ce sont les normes au regard desquelles les décisions doivent être prises.
La directive fixe une orientation générale à suivre mais elle ne prive pas l’autorité administrative chargée d’appliquer un texte de son pouvoir d’appréciation. Alors qu’une autorité chargée d’appliquer un règlement ne peut décider contrairement à lui que si et dans la mesure où le règlement lui en ouvre la possibilité.
Mais, ces directives obéissent à certaines conditions.
B – Les conditions de légalité des directives
Certaines conditions concernent l’exercice par l’Administration de son pouvoir d’appréciation (1), d’autres présentent un caractère plus général (2).
1 – L’exercice du pouvoir d’appréciation
L’exercice du pouvoir d’appréciation laissé aux autorités administratives comporte deux aspects. D’abord, l’auteur de la décision doit procéder à un examen de la situation individuelle du demandeur. Ensuite, l’autorité d’application peut déroger à la ligne de conduite fixée par la directive dans deux cas : motifs tirés des particularités de l’affaire, motifs d’intérêt général. Ce sont les deux considérations qui permettent d’établir des différences de traitement. Si aucun de ces deux motifs n’est présent, elle devra décider conformément à l’orientation définie par la directive. On remarque que le principe d’égalité domine le statut des directives. En l’espèce, les requérantes ne remplissent aucune de ces deux conditions.
Viennent, ensuite, les conditions générales de légalité.
2 – Les conditions générales de légalité
D’abord, la directive ne doit pas priver l’autorité chargée, au vu d’une situation individuelle, de prendre une décision, de son pouvoir d’appréciation. Elle doit laisser l’autorité libre de procéder à l’examen particulier de chaque affaire et de déroger à l’orientation fixée dans les deux cas prévus.
Ensuite, elle ne doit pas ajouter aux lois et règlements en vigueur ni bien sur les méconnaître.
Enfin, la directive doit être adaptée au but et à la raison d’être des textes dont elle organise la mise en œuvre, ce qui est, en l’espèce, le cas.
Pour en revenir à l’affaire étudiée, la Commission nationale pouvait valablement se fonder sur cette directive. Elle n’a pas, ce faisant, commis d’erreur de droit.
CE, 8/12/1997, sect., 11/12/1970, Crédit foncier de France
REQUETE DU CREDIT FONCIER DE FRANCE, TENDANT A L’ANNULATION D’UN JUGEMENT DU 1ER JUILLET 1969 PAR LEQUEL LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS A ANNULE POUR EXCES DE POUVOIR UNE DECISION DE LA COMMISSION NATIONALE DU FONDS NATIONAL D’AMELIORATION DE L’HABITAT DU 2 OCTOBRE 1964 EN TANT QU’ELLE ETAIT RELATIVE AUX TRAVAUX DE RAVALEMENT EXECUTES SUR L’IMMEUBLE DONT LA DEMOISELLE GAUPILLAT, [MARGUERITE] DEMEURANT 42 AVENUE D’IENA A PARIS [XVIE] ET LA DAME ADER, NEE GAUPILLAT [FRANCOISE] DEMEURANT 55 RUE DE VARENNE A PARIS [VIIE] SONT PROPRIETAIRES AU 10 AVENUE JEAN-JAURES A PARIS [XIXE].
VU LE CODE DE L’URBANISME ET DE L’HABITATION ; LE DECRET DU 26 OCTOBRE 1945 ; L’ARRETE DU MINISTRE DE LA RECONSTRUCTION ET DE L’URBANISME DU 27 AVRIL 1946 ; L’ORDONNANCE DU 31 JUILLET 1945 ET LE DECRET DU 30 SEPTEMBRE 1953 ; LE CODE GENERAL DES IMPOTS ;
CONSIDERANT QUE LE DECRET DU 26 OCTOBRE 1945, PORTANT REGLEMENT D’ADMINISTRATION PUBLIQUE RELATIF AU FONDS NATIONAL D’AMELIORATION DE L’HABITAT, CONFIE A UNE COMMISSION NATIONALE ET, SUIVANT CERTAINES CONDITIONS, A DES COMMISSIONS DEPARTEMENTALES D’AMELIORATION DE L’HABITAT L’EMPLOI DES DISPONIBILITES DU FONDS NATIONAL ; QUE L’ARTICLE 5 DE L’ARRETE DU 27 AVRIL 1946 DU MINISTRE DE LA RECONSTRUCTION ET DE L’URBANISME, PRIS EN APPLICATION DE L’ARTICLE 7 DUDIT REGLEMENT D’ADMINISTRATION PUBLIQUE, PRECISE QU’IL APPARTIENT A CHAQUE COMMISSION « SUIVANT LES DIRECTIVES ET SOUS LE CONTROLE DE LA COMMISSION NATIONALE D’APPRECIER, SELON LES BESOINS REGIONAUX OU LOCAUX, TANT AU POINT DE VUE ECONOMIQUE QUE SOCIAL, LE DEGRE D’UTILITE DES TRAVAUX AUXQUELS PEUT ETRE ACCORDEE L’AIDE FINANCIERE DU FONDS NATIONAL » ;
CONS. QUE, POUR REFUSER L’ALLOCATION MENTIONNEE A L’ARTICLE 6 DU REGLEMENT GENERAL DU 27 AVRIL 1946, LA COMMISSION NATIONALE S’EST REFEREE AUX NORMES CONTENUES DANS UNE DE SES PROPRES DIRECTIVES PAR LESQUELLES ELLE ENTENDAIT, SANS RENONCER A EXERCER SON POUVOIR D’APPRECIATION, SANS LIMITER CELUI DES COMMISSIONS DEPARTEMENTALES ET SANS EDICTER AUCUNE CONDITION NOUVELLE A L’OCTROI DE L’ALLOCATION DONT S’AGIT, DEFINIR DES ORIENTATIONS GENERALES EN VUE DE DIRIGER LES INTERVENTIONS DU FONDS ; QUE LA DEMOISELLE GAUPILLAT ET LA DAME ADER N’INVOQUENT AUCUNE PARTICULARITE DE LEUR SITUATION AU REGARD DES NORMES SUSMENTIONNEES, NI AUCUNE CONSIDERATION D’INTERET GENERAL DE NATURE A JUSTIFIER QU’IL Y FUT DEROGE ET DONT LA COMMISSION NATIONALE AURAIT OMIS L’EXAMEN ; QU’ELLES NE SOUTIENNENT PAS DAVANTAGE QUE LA DIRECTIVE DONT S’AGIT AURAIT MECONNU LES BUTS ENVISAGES LORS DE LA CREATION DU FONDS NATIONAL D’AMELIORATION DE L’HABITAT ; QUE, DANS CES CONDITIONS, UNE TELLE REFERENCE N’ENTACHAIT PAS LA DECISION DE REFUS D’UNE ERREUR DE DROIT ; QUE LE CREDIT FONCIER DE FRANCE, GESTIONNAIRE DUDIT FONDS EN VERTU DE L’ARTICLE 292 DU CODE DE L’URBANISME ET DE L’HABITATION, EST, DES LORS, FONDE A SOUTENIR QUE C’EST A TORT QUE, PAR LE JUGEMENT ATTAQUE, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS A ANNULE LA DECISION DE LA COMMISSION NATIONALE ;
SUR LES DEPENS DE PREMIERE INSTANCE : – CONS. QU’IL Y A LIEU, DANS LES CIRCONSTANCE ; DE L’AFFAIRE, DE METTRE LES DEPENS DE PREMIERE INSTANCE A LA CHARGE DE LA DEMOISELLE GAUPILLAT ET DE LA DAME ADER ;
DECIDE :
ANNULATION DU JUGEMENT ; REJET DE LA DEMANDE DE LA DEMOISELLE GAUPILLAT ET DE LA DAME ADER ; DEPENS DE PREMIER INSTANCE ET DEPENS EXPOSES DEVANT LE CONSEIL D’ETAT MIS A LA CHARGE DE LA DEMOISELLE GAUPILLAT ET DE LA DAME ADER.
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