La rue est espace de « prestations » aux deux sens de cette expression : l’on y fournit des services commerciaux (Section I) ; des artistes s’y produisent (Section II). Toutes choses qui engagent la police administrative.
SECTION I : LES PRESTATIONS MARCHANDES
La rue, écrit pertinemment un auteur, est « un lieu d’expression, d’étalage, d’accumulation de denrées et d’objets offerts aux chalands »111(*). De ce fait, la rue est par ailleurs le lieu privilégié d’accomplissement de la liberté du commerce et de l’industrie112(*). La réglementation par les autorités de police intervient alors dans deux optiques : la gestion du domaine public sur lequel ont lieu ces activités, et le maintien de l’ordre public susceptible d’être menacé.
Ces deux pouvoirs distincts d’intervention des autorités administrative peuvent néanmoins être facilement confondus (Paragraphe I) puisqu’ils se fondent sur les mêmes motifs. Les activités économiques réglementées par les autorités de police administrative peuvent constituer une utilisation anormale du domaine public, notamment dans le cas des activités non sédentaires pour lesquelles aucun emplacement de la voie publique n’est spécialement aménagé (Paragraphe II) ; mais elles peuvent également avoir vocation à s’exercer sur la voie publique, comme dans le cas des transports publics (Paragraphe III).
PARAGRAPHE I : LA DISTINCTION ENTRE POLICE
GENERALE ET GESTION DU DOMAINE PUBLIC
Les activités économiques pouvant prendre place sur la voie publique sont très variées : étalages des commerçants, terrasses de cafés, brocantes, kiosques à journaux, taxis, marchés, artistes-peintres, etc.
Néanmoins, elle ont toutes pour point commun de constituer une occupation privative du domaine public, nécessitant l’octroi d’une autorisation (A), qui constitue un acte de gestion domaniale et non de police administrative (B).
A- L’autorisation d’occupation du domaine public
Les activités économiques ayant lieu sur la voie publique, et plus généralement sur le trottoir, font une occupation privative du domaine public, c’est-à-dire qu’une portion de celui-ci est soustraite à l’usage commun au profit d’un particulier déterminé. Une telle utilisation du domaine public requiert donc une autorisation administrative préalable, qui porte un caractère impératif selon le Conseil d’Etat : « Toute occupation privative d’une dépendance du domaine public doit être régulièrement autorisée, qu’elle comporte ou non une emprise sur ce domaine ou une modification de son assiette »113(*).
La délivrance d’une autorisation d’occuper le domaine public à titre privatif constitue un acte de gestion du domaine public par l’administration. En vertu de l’article 74 de la Charte municipale, ce sont les maires qui ont compétence pour délivrer de telles autorisations.
Les autorisations d’occupation du domaine public à titre privatif sont de deux ordres. Tout d’abord, le permis de stationnement permet une occupation privative du domaine public sans emprise, c’est-à-dire sans incorporation au sol ; il s’agit d’une occupation superficielle, qui ne modifie pas l’assiette du domaine public114(*). La permission de voirie est au contraire un mode d’utilisation privative du domaine public avec emprise ; elle implique l’exécution de travaux qui modifient l’assiette même du domaine public occupé. L’installation de kiosques à journaux sur le trottoir nécessite traditionnellement ce type d’autorisation115(*).
B- La confusion entre gestion du domaine public et police administrative
Pendant longtemps, les interventions administratives en matière d’utilisation du domaine public se rattachaient exclusivement à une compétence de police. Ainsi, pour les entreprises de transports publics, les conditions imposées à ces entreprises ne pouvaient se fonder que sur des motifs autres que la nécessité de maintenir la sécurité et la commodité de la circulation. De même, les retraits des permissions de voirie ne pouvaient être justifiés que par des motifs de police.
Cette conception primitive du domaine public a été abandonnée au profit d’une acception nouvelle, fondée sur le droit de propriété de l’administration. Puis la jurisprudence administrative a admis que l’administration pouvait intervenir au titre d’une compétence beaucoup plus large fondée sur l’idée de gestion ; dans l’arrêt Société des autobus Antibois116(*), le Conseil d’Etat admet en effet que l’autorité de police puisse intervenir dans le but d’assurer la protection d’un service de transports publics existant en défavorisant les entreprises privées concurrentes.
Mais cette distinction entre pouvoir de police et pouvoir de gestion du domaine public a été remise en cause par certains auteurs. Pour Claude Klein par exemple, « police et gestion ne constituent que des techniques ayant un même objet et un même but ». L’ordre public que poursuit la police correspond en réalité à une finalité d’intérêt général qui intègre également les préoccupations de gestions.
Cette thèse est cependant contestable dans la mesure où l’ordre public que poursuit la police ne se confond pas avec l’intérêt général qui commande l’exercice de toutes les activités administratives : quand l’autorité administrative réglemente l’utilisation du domaine public au titre d’un pouvoir de gestion, elle agit dans un but étranger à l’ordre public.
La confusion entre les pouvoirs de police administrative et les pouvoirs de gestion du domaine public en matière d’activités économiques sur la voie publique est entretenue, outre le fait que les autorités compétentes sont les mêmes, par les motifs pouvant justifier l’octroi, le refus ou le retrait des autorisations d’occupation du domaine public. En effet, ces motifs peuvent être les mêmes que ceux fondant l’exercice par les autorités administratives de leur pouvoir de police.
Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé que l’administration pouvait refuser d’autoriser la construction d’un kiosque sur le trottoir si cette installation était de nature à aggraver les difficultés et les dangers de la circulation117(*). De même, un maire a pu retirer une autorisation d’occuper un emplacement de marché à un commerçant au motif qu’il troublait la tranquillité publique en violant le règlement des marchés de la ville et en provoquant des désordres sur la voie publique118(*).
La frontière est donc mince entre l’exercice par l’autorité administrative et ses pouvoirs de gestion du domaine public, (rattachés à l’autorisation d’occuper le domaine public) et des pouvoirs de police administrative (liés à la réglementation de l’activité économique elle-même).
PARAGRAPHE II : LA POLICE DES ACTIVITES NON
SEDENTAIRES
Le commerce non sédentaire constitue la forme originelle du commerce. Les places de marchés ou de foires, au coeur des villes et des villages, les routes qui les relient attestent de son rôle ancien de structuration du territoire, notamment des pôles urbains, de participation aux échanges, non seulement de marchandises mais également d’idées, et d’animation de la vie locale.
On distinguera donc parmi ces activités non sédentaires celles impliquant la possibilité de se déplacer, c’est-à-dire les activités « ambulantes » (A), et celles qui s’exercent de façon fixe, qu’elles aient ou on une emprise sur la voie publique (B).
A- Les activités « ambulantes »
Les professions ambulantes sur la voie publique regroupent les activités qui ne bénéficient pas d’emplacement spécialement réservés à leur exercice : marchands présentant leurs marchandises à même le sol, ou les transportant dans un contenant quelconque.
Le Conseil d’Etat a jugé que l’exercice des professions ambulantes sur la voie publique ne pouvait être ni interdit, ni soumis au régime de l’autorisation préalable, dans un arrêt du 8 novembre 1933, Grundmann et Kardesch119(*). En revanche, le fait pour un maire de subordonner l’occupation prolongée par les commerçants ambulants pour exercer leur activité des emplacements fixes des voies publiques à une autorisation municipale a été jugé légal par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Mansuy du 17 janvier 1986120(*), « en raison de l’importance du trafic des passagers et des véhicules embarquant dans le port » de la commune. Mais on peut penser qu’il s’agissait ici de la mise en oeuvre du pouvoir de gestion domaniale de l’administration.
Toutefois, des mesures de police même très rigoureuses sont légales quand elles s’appliquent à des voies qui présentent des difficultés particulières de circulation. Ce principe ressort de l’arrêt Ollivon et Mauvais du Conseil d’Etat du 14 février 1976121(*).
Il appartient alors à l’autorité municipale de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer le libre passage sur les voies publiques, et notamment d’interdire l’exercice de la profession dans certains rues où à certaines heures, de fixer des emplacements réservés à la vente, et, dans des circonstances exceptionnelles, de limiter le nombre de personnes admises à occuper ces emplacements. Cependant le maire doit éviter les interdictions de caractère général ou absolu qui sont considérées comme attentatoires à la liberté du commerce et de l’industrie122(*).
Enfin, sont considérées comme illégales les mesures de réglementation motivées non par les nécessités de la circulation, mais par le souci de protéger les intérêts des commerçants de la localité et qui portent ainsi une atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi123(*).
B- Les activités « fixes »
On peut regrouper dans cette catégorie de nombreuses professions s’exerçant sur la voie publique qui ne peuvent changer d’emplacement à leur gré, du fait de leur incorporation dans le sol comme pour les kiosques à journaux, ou du fait de l’obligation qui est faite de se tenir aux emplacements qui leur sont réservés. Nous verrons que ce régime peut s’appliquer aux terrasses de cafés et de restaurants.
En effet, les terrasses des cafés et restaurants sur la voie publique, et plus particulièrement sur le trottoir, nécessitent l’obtention d’un permis de stationnement, car elles constituent une occupation du domaine public sans emprise.
Cette autorisation d’occuper le domaine public peut être subordonnée à certaines réserves, puisque l’article 74 de la Charte municipale précise qu’elle ne doit « entraîner aucune gêne pour la circulation et la liberté du commerce ». A ainsi été jugé illégal l’arrêté par lequel le maire d’Antibes a autorisé un restaurant à installer une seconde terrasse sur le trottoir car cela avait pour effet « de réduire à peine plus d’un mètre la largeur de la partie de ce trottoir maintenue à la disposition des piétons, et de gêner ainsi la circulation124(*).
Les terrasses installées sur les trottoirs par les cafés et les restaurants posent en effet de nombreux problèmes quant à la circulation des piétons. L’autorisation d’installer une terrasse précise en règle générale la surface sur laquelle la terrasse peut être implantée, le nombre de tables et de chaises, et surtout la distance devant nécessairement exister entre le bord du trottoir et les premières tables et chaises.
Cette distance doit permettre le passage des piétons, mais également des personnes handicapées se déplaçant en fauteuil roulant, et les personnes poussant des poussettes d’enfant. La distance imposée est le plus souvent d’1 m 40 ou 1 m 60, selon les réglementations municipales. Mais faute de vigilance de la part des autorités administratives, les commerçants ont tendance à élargir la surface de leur installation, et à déborder le soir venu hors de leur emplacement initial.
Les terrasses peuvent également engendrer des nuisances tenant au bruit provoqué par la diffusion de musique et le brouhaha émanant des conservations, plus ou moins fortes, des clients. C’est pourquoi l’autorité municipale peut également réglementer les horaires d’ouverture et de fermeture des terrasses et de restaurent, en imposant par exemple la fermeture à une certaine heure de la nuit, limitant par cette mesure la durée de la nuisance sonore engendrée par la terrasse.
PARAGRAPHE III : LE CAS PARTICULIER DES ACTIVITES
DE TRANSPORT DE PERSONNE
Les activités de transport public peuvent être réglementées selon les motifs traditionnels de la police de la circulation. Mais elles peuvent également subir d’autres restrictions pour des motifs étrangers à la sécurité de la circulation. Nous verrons donc dans quelle mesure cela affecte le régime de ces activités, qu’il s’agisse des entreprises de transport public (A), des taxis communaux (B) ou du régime particulier des auto-écoles (C).
A- Les entreprises de transport public
On désigne sous la notion d’entreprise de transport public les services de transport en commun de personnes (bus et cars), mais également les transports de biens mobiliers. Le Conseil d’Etat a alors consacré de façon plus nette le droit du maire de soumettre cette exploitation à une autorisation, dans cette Société des autobus antibois du 29 janvier 1932125(*). Cette solution a été reprise par de nombreux arrêts postérieurs, étant toutefois précisé que ce régime d’autorisation ne peut être institué que si des circonstances locales particulières l’exigent.
A ce régime d’autorisation préalable s’ajoutent des pouvoirs de réglementation très étendus, qui permettent aux autorités administratives de fixer les points d’arrêt et de stationnement des véhicules à l’intérieur des agglomérations126(*), de déterminer les itinéraires à emprunter127(*), d’imposer des obligations particulières pour assurer la sécurité des voyageurs128(*), ou encore d’aménager au mieux l’intérêt public les conditions de circulation des voitures de transport en commun.
Des motifs étrangers aux nécessités de l’ordre public peuvent être pris en considération dans la réglementation de ces activités par la police administrative ; en effet, dans l’arrêt Société des autobus Antibois, le Conseil d’Etat a jugé que le maire pouvait interdire aux entreprises de transports en commun reliant plusieurs communes entre elles « d’effectuer tout trafic de voyageurs à l’intérieur de l’agglomération de façon à empêcher la concurrence de ces entreprises avec la société concessionnaires des transports en commun dans ladite agglomération ».
Il s’agissait donc d’assurer la protection du service existant en défavorisant les entreprises privées concurrentes ou même en interdisant toute concurrence. De même, les entreprises privées pouvaient être assujetties à un régime d’autorisation préalable quand il existait déjà un service concédé sur l’itinéraire qu’elles désiraient desservir129(*). Ce motif n’avait pourtant aucun lien avec les nécessités de la circulation sur les voies publiques.
Cette jurisprudence semble se fonder sur le caractère anormal de l’utilisation du domaine public par les entreprises de transport ; mais cette explication ne peut être retenue, car ces activités consistent précisément à mettre à la disposition du public usager des moyens collectifs de circuler.
B- Les taxis communaux
L’arrêté du 12 mars 2007 portant organisation du transport urbain dans la commune de Cocody a été édicté dans le but de lutter contre les agressions. Deux aspects se dégagent de cette décision qui porte organisation du transport dans la commune. Les taxis communaux doivent remplir certaines conditions techniques et sont assujettis à des taxes fiscales.
Les taxis communaux doivent présenter certaines caractéristiques techniques. L’article 2 précise que « les taxis communaux doivent être autorisés par le maire et avoir les caractéristiques ci-après :
· Etre âgés de moins de 10 ans
· Etre revêtus de macaron blanc avec les armoiries de la mairie
· Etre de couleur jaune panama OZ 231. »
Ils doivent donc présenter trois caractéristiques exigées par l’autorité municipale qui ont pour objectif d’assurer la sécurité des riverains. En effet, la couleur et l’insigne de la mairie permettront à la population d’identifier les taxis desservant la commune réduisant ainsi, le taux d’agression. De plus, la condition d’âge du véhicule permet de réduire les risques d’accidents dus à des défaillances techniques.
Le maire peut aussi fixer le nombre de taxi admis à être exploités, attribue les autorisations de stationnement et délimite les zones de prise en charge. Le droit du maire de limiter le nombre des taxis communaux et de subordonner l’exploitation de ces véhicules à la délivrance d’une autorisation administrative provient d’une jurisprudence ancienne remontant à l’époque des fiacres du Conseil d’Etat130(*), et confirmée de façon plus récente par l’arrêt Dupont du 27 novembre 1973131(*).
En effet, l’octroi des autorisations obéit à des préoccupations de police : elle a pour objet de restreindre le nombre des voitures admise à circuler et à stationner dans l’intérêt de la facilité et de la sécurité de la circulation sur les voies publiques. Cependant, l’octroi de cette autorisation est parfois subordonné à des conditions qui ne sont pas de stricte police, comme la condition de « bonne moralité » du candidat132(*).
Le Conseil d’Etat a également jugé légale le fait qu’un maire prescrive qu’au-delà d’un certain âge, un examen médical périodique destiné à vérifier l’aptitude physique du chauffeur puisse avoir lieu133(*). Seules sont entachées d’illégalité les mesures étrangères, par leur objets ou leurs motifs, aux nécessités de la circulation ou la satisfaction des besoins des usagers, qui interviennent dans un intérêt privé ou financier ; le Conseil d’Etat a jugé qu’un maire limitant le nombre de taxis admis à circuler dans l’intérêt des exploitants de taxi déjà établis dans le commune se rendait coupable d’un détournement de pouvoir134(*).
C- La disponibilité de la rue pour les auto-
écoles
L’activité d’enseignement, à titre onéreux, de la conduite des véhicules à moteur d’une catégorie donnée et de la sécurité routière est subordonnée à la délivrance d’une autorisation administrative.
La délivrance de cette autorisation est subordonnée à de nombreuses conditions : ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation, être titulaire d’un permis de conduire en cours de validité et valable pour les catégories de véhicules considérés, remplir des conditions d’âge, d’ancienneté et d’aptitude physique fixées par un décret en conseil des ministres ; le véhicule doit être équipé d’un double dispositif de commandes de freins et de débrayage, d’un double équipement en rétroviseurs, etc.
Les véhicules auto-écoles circulent et stationnent sur la voie publique dans des conditions préjudiciables à la commodité et à la sécurité du trafic. Ces véhicules sont en effet confiés à des conducteurs inexpérimentés.
Le Conseil d’Etat a donc jugé que des sujétions particulières pouvaient être imposées aux activités des écoles de conduite dans l’intérêt de la circulation par les autorités de police135(*).
Les titulaires des pouvoirs de police ont ainsi le droit d’assigner aux véhicules des auto-écoles un lieu de stationnement unique. Mais ils ont également la possibilité de soumettre ces véhicules à des mesures encore plus contraignantes, dont le domaine d’application se situe hors de la voie publique et qui constitue une véritable réglementation professionnelle.
Dans l’arrêt Chambre syndicale patronale des enseignants de la conduite des véhicules à moteur du 5 janvier 1968136(*), le Conseil d’Etat admet la légalité d’un arrêté du préfet de police de Paris faisant obligation à « tout exploitant d’un établissement d’enseignement de la conduite des véhicules à moteur de disposer, dans l’établissement même ou à proximité immédiate, d’un local ou d’un terrain d’une surface suffisante pour recevoir la totalité des voitures-écoles qu’il entend utiliser ».
Cette mesure revenait pourtant à une interdiction de stationner sur la voie publique, qui n’était pas prévue par la réglementation nationale applicable aux exploitants d’auto-écoles ; mais le juge l’accepte dès lors qu’elle était justifiée par les nécessités du bon ordre et de la circulation.
SECTION II : LES PRESTATIONS ARTISTIQUES
(LES « ARTS DE LA RUE »)
Les arts de la rue intéressent aussi la police administrative dans la mesure où la collectivité propriétaire du domaine public doit d’une part veiller au maintien de l’ordre public et, d’autre part, assurer l’entretien et la bonne gestion de son domaine. L’examen des principes généraux applicables en la matière (Paragraphe I) doit cependant être complété par un examen des règles générales applicables aux « spectacles », puisque certains de ces spectacles sont précisément des spectacles de la rue (Paragraphe II).
PARAGRAPHE I : L’EXAMEN DES PRINCIPES
GENERAUX
Par définition, l’utilisation de la voirie par les artistes de rue n’est pas du tout à fait conforme à son affectation première qu’est la circulation. Aussi, au regard des mesures de police et des pouvoirs de police qui appartiennent au maire ou au préfet selon les cas, cette utilisation peut, dans certains cas, être subordonnée à une autorisation. On sait néanmoins qu’il y a par ailleurs des cas dans lesquels l’existence d’un tel régime d’autorisation est illicite. Tel est le sens du célèbre arrêt Daudignac rendu à propos des photographes-filmeurs137(*).
Le « rapprochement » de la jurisprudence Daudignac avec les arts de la rue soulève deux interrogations. La première question porte sur le fait de savoir si l’illicéité du régime d’autorisation préalable posé par cet arrêt ne devrait pas être appliqué aux arts de la rue. En effet, le Conseil d’Etat a cru devoir s’opposer à l’existence d’un régime d’autorisation pour les photographes-filmeurs en raison notamment de l’implication de la liberté du commerce et de l’industrie dans l’activité du photographe-filmeur.
Or cette liberté (et plus généralement la liberté d’entreprendre) est également impliquée dans l’activité de nombreux artistes de rue dont les prestations artistiques sont précisément faites avec la perspectives, à la seule différence que le montant de cette rétribution n’est pas toujours défini par l’artiste lui-même.
L’autre question que soulève l’arrêt Daudignac dans son rapport aux arts de la rue est de savoir si les mesures de police (autorisation, interdiction) susceptibles d’être prises en la matière ne se fondent que sur des considérations de sécurité, de tranquillité, de nuisances sonores ou de questions techniques ou si ces mesures peuvent aller jusqu’à juger de la qualité morale d’une expression artistique. Cette autre question sera plutôt envisagée ici dans le cadre plus général de la réglementation des spectacles.
PARAGRAPHE II : LES « ARTS DE RUE » ET POLICE
DES SPECTACLES
Contrairement aux réunions et aux manifestations, qui supposent respectivement l’échange d’idées et l’expression d’une volonté, les rassemblements que sont les spectacles ont un objet plus modeste : ce sont de simples divertissements, dont l’ambition essentielle est de distraire un public assemblé pour la circonstance dans un lieu public ou privé.
Définis par l’ordonnance modifiée du 13 octobre 1945 relative aux spectacles dont il faut distinguer : la définition qu’elle donne des « spectacles » (A) ; les éléments de police du régime juridique qu’elle définit (B).
A- L’identité juridique du « spectacle »
L’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles procède plutôt en effet à une énumération des spectacles rentrant dans son champ d’application138(*). Les catégories énoncées par l’ordonnance sont donc susceptibles de recouvrir des spectacles ayant lieu sur la voie publique : ainsi, les « spectacles forains » peuvent désigner les activités de jongleurs, cracheurs de feu et autres que l’on peut admirer en règle générale lors des fêtes ou lorsqu’un cirque se teint dans la commune.
On voit donc que ce texte ne définit pas de façon générique la notion de spectacle ; pourtant, une telle définition eût été utile dans la mesure où nombreuses sont les activités distractives et/ou de loisirs susceptibles d’être qualifiées de spectacles, et où ces activités peuvent être soumises à des mesures de police administrative.
Ainsi, le juge administratif s’est heurté dans un arrêt du 11 juillet 1975, Sieur Clément139(*), à la difficulté de classer un festival de musique « pop » dans l’une des catégories énoncées par l’ordonnance de 1945, cette classification ayant pourtant une incidence quand au régime applicable à cette manifestation.
L’ordonnance de 1945 relative aux spectacles est donc devenue rapidement obsolète. Aussi fut-elle modifiée par la loi du 18 mars 1999140(*) portant modification de l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, dont l’intérêt est une meilleure prise en compte du spectacle vivant141(*).
B- Les pouvoirs de police appliqués aux
spectacles
Les pouvoirs de police appliqués aux spectacles sont de deux sortes : ceux relatifs au maintien du bon ordre et la question de la protection de la moralité publique.
1- Le maintien du bon ordre
2 – La question de la protection de la moralité
publique
En principe, cette question se pose dans des termes comparables à ceux qui ont été éprouvés par le juge administratif à propos de la liberté d’expression (cinématographique) d’une part et de la liberté contractuelle (« lancer de nains ») d’autre part. Avec cependant cette différence de taille que la rue est peut-être une circonstance « aggravante » des prérogatives de police des autorités administratives.
C’est en effet dans le domaine de la liberté d’expression cinématographique que la question de la prise en compte de la moralité dans la police administrative s’est initialement posée, avec l’arrêt du Conseil d’Etat, Société « Les films Lutétia »145(*). On le sait, dans cette affaire, le maire de Nice avait interdit la projection du film « Le feu dans la peau » dans sa commune, malgré l’obtention du visa ministériel autorisant l’exploitation du film, en raison de son caractère immoral.
Le juge administratif admit cette interdiction en déclarant qu’un « maire, responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d’un film auquel le visa d’exploitation a été accordé mais dont la projection est susceptible d’entrainer des troubles sérieux ou d’être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciables à l’ordre public ». L’interdiction ne se justifie donc que s’il existe un risque de troubles matériels à l’ordre public, ou si le caractère immoral de film, non détachable de circonstances locales particulières, est susceptible de troubler l’ordre public.
La question s’est ensuite posée dans l’affaire dite « lancer de nains » ; amené à examiner cette question, le Conseil d’Etat rendit une décision de principe dans son arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995146(*) sur la question de savoir si les maires pouvaient faire usage de leurs pouvoirs de police administrative général pour, en interdisant de tels spectacles, protéger la moralité publique.
Si l’on s’en tient à la trilogie classique de l’ordre public au sens de sécurité, tranquillité et salubrité publiques, ne pouvait justifier une mesure d’interdiction puisque le « lancer de nain » se déroulait dans des discothèques – soit des lieux dont l’accès n’est pas ouvert à tout le monde- et qu’il n’était supposé provoqué aucune affectation de la sécurité, de la tranquillité ou de la salubrité publiques. De même les maires en cause ne paraissaient-ils pas pouvoir invoquer la protection « des nains » eux-mêmes puisque ceux-ci étaient porteurs d’équipements protecteurs contre les accidents ou des atteintes à leur sécurité.
Le motif retenu par les arrêtés était donc celui de l’atteinte à la dignité humaine. C’est précisément cette approche qui fut validée par le Conseil d’Etat à partir de l’analyse du commissaire du Gouvernement Frydman. Ce dernier fit valoir que de tels spectacles consistaient en un étalage des « anomalies physiques » de certaines personnes ; qu’ils renvoyaient ainsi « un sentiment obscur et pervers que certaines personnes seraient des êtres humains de second rang ».
Le Conseil d’Etat considéra donc, nouvellement, « qu’il appartient à l’autorité du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est un des composantes de l’ordre public ».