La responsabilité administrative peut être engagée même lorsqu’aucune faute n’a été commise. Ce type de responsabilité est fondé sur la solidarité car il s’agit dans ce cas de réparer les conséquences d’une charge subie par un citoyen du fait des activités réalisées dans l’intérêt général ; il s’agit donc d’un cas de responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques. La responsabilité de l’administration se trouve alors engagée, même si elle dispose d’une action récursoire contre une autre autorité administrative (commune par exemple) si celle-ci est responsable. La responsabilité sans faute a été consacrée par l’arrêt Carmes de 1895 : cet arrêt constitue le fondement de la responsabilité sans faute.
Fondement de la responsabilité sans faute
Elle doit reposer sur deux éléments :
Création d’un risque anormal
Il peut s’agir de dommages causés en raison d’attroupements (manifestations qui entrainent des dommages réparables par l’administration alors même qu’elle n’a commis aucune faute), de dommages causés à des bénévoles…
On considère ainsi plusieurs cas dans lesquels il existe des risques particuliers, que les personnes peuvent subir :
* Dommages imputables à un risque du voisinage : les personnes publiques sont en effet responsables des « risques excédant les limites de ceux qui résultent normalement du voisinage ». Cette solution a été consacrée par l’arrêt du Conseil d’Etat de 1919, Regnault Desroziers, relatif à l’explosion d’un dépôt de munitions. Il convient de noter que la notion de voisinage est étendue à tous les tiers. Aussi, les risques du voisinage comprennent également les dommages causés par les malades mentaux, ou encore par les détenus placés sous surveillance contrôlée. Mais cela s’applique également dans le cadre d’ouvrages ou d’installations exceptionnellement dangereuses ; le juge administratif retient rarement ce type de responsabilité afin de limiter de trop importantes extensions. Pour cela, la qualification de l’ouvrage exceptionnellement dangereux est stricte.
* Dommages subis par les collaborateurs bénévoles (particuliers apportant volontairement et gratuitement leur aide à une mission administrative) : lorsqu’un dommage est causé, sans rechercher une faute de l’administration, cette dernière est responsable. Les collaborateurs occasionnels de l’administration peuvent donc demander réparation des dommages subis. C’est ce qu’a reconnu le Conseil d’Etat dans son arrêt de 1946, Commune de Saint-Priest-la Plaine (dans le cadre en l’espèce de l’aide donnée pour un feu d’artifice).
* Dommages causés au tiers par les armes à feu de la police : une tierce victime d’un tir peut demander réparation à l’administration, même sans faute de l’agent de police. Cela est justifié par l’utilisation d’armes, qui fait courir un risque important aux tiers. Cette solution bénéficie seulement aux tiers (et non aux personnes visées par la police) ; c’est ce qu’il ressort de l’arrêt Daramy du Conseil d’Etat, de 1949.
* Dommages d’une extrême dangerosité provoqués par un acte médical : lorsqu’il existe un dommage d’une particulière gravité, la responsabilité de l’administration est engagée sans faute. Il est donc nécessaire d’une part que l’acte médical soit à l’origine du dommage, d’autre part que le dommage soit d’une extrême gravité (CE, 1991, Bianchi). Il peut s’agir de prendre en cause l’évolution prévisible de l’état du patient (qui nécessitera un fauteuil roulant par exemple).
Rupture de l’égalité devant les charges publiques
C’est en effet l’anormalité qui entraine des charges plus importantes, et qui ouvre ainsi droit à réparation en dehors de toute faute de l’administration. Certaines lois, ou encore certaines conventions internationales peuvent en effet engendrer une rupture de l’égalité devant les charges publiques. En ce sens, l’administration peut être amenée à indemniser.
Ce type de responsabilité sans faute, de plus en plus consacré est appliqué dans un certain nombre de cas :
* Dommages causés par le refus d’employer des mesures d’ordre public pour faire exécuter un jugement. C’est ce qu’il ressort de l’arrêt Couitéas de 1923 du Conseil d’Etat. Le préfet peut par exemple refuser de faire exécuter une décision d’expulsion de locataires alors même que celle-ci a bien été décidée.
* Dommages causés du fait de la loi : consacré par l’arrêt La Fleurette du Conseil d’Etat en 1938. Cet arrêt établi qu’il incombe à l’administration de supporter la « charge crée dans un intérêt général ». L’administration a donc l’obligation de réparer le préjudice, sauf si elle a elle-même exclu la réparation. Cette responsabilité est néanmoins rarement admise car le préjudice atteint généralement un grand nombre de personne, ce qui retire au préjudice son caractère de spécificité nécessaire à la demande de réparation.
* Dommages causés du fait des conventions internationales : comme la loi, la convention internationale est incontestable. Si en revanche cette convention cause un préjudice à quelques personnes, ces dernières peuvent obtenir réparation de l’administration (CE, 1966, Compagnie générale d’énergie électrique). De même que la loi, la convention ne doit pas avoir exclu le droit à réparation pour que celui-ci s’exerce.
* Dommages causés par une décision ou une opération administrative : même si l’administration a mis en place des opérations régulières, et donc non fautive, elles peuvent avoir à réparer un préjudice. Cette solution (CE, 1963, Commune de Gavarni) s’applique plus généralement aux dommages de travaux publics.
Spécialité et anormalité du préjudice
Pour faire l’objet de réparation, le préjudice doit reposer sur deux caractéristiques essentielles : la spécialité et l’anormalité de celui-ci. Ces deux critères sont exigés ; c’est pour cela que les dommages causés du fait de la loi ou des conventions internationales sont rarement retenus (car ces textes s’adressent à un nombre trop grand d’individus).
Spécialité
Le préjudice causé doit porter sur un nombre très faible d’individu (une seule personne ou un petit nombre) ; à l’inverse, on ne pourra considérer qu’il y a bien une rupture d’égalité devant les charges publiques. En effet, si le préjudice est général, il n’y a pas de rupture de l’égalité des charges, ce qui retire au préjudice un fondement essentiel dans le cadre du droit à réparation.
Anormalité
Le préjudice doit être d’une particulière gravité pour pouvoir être indemnisé. En effet, les troubles légers supportés par chacun ne peuvent faire l’objet d’une demande de réparation.