Le travail, tout comme la langue chez Esope, peut tout aussi bien être la meilleure ou la pire des choses : parfois remarquable facteur d’épanouissement de la personnalité, il peut, s’il est trop prolongé, avoir un effet dissolvant. L’épuisement n’est pas le seul danger qui menace le salarié soumis à des cadences de travail inhumaines. Le développement du machisme a considérablement accru, à l’époque moderne, les risques d’accidents du travail. L’intégrité morale autant que physique du travailleur risquant de se trouver compromise, le législateur a décidé des règles relatives à la durée du travail (1) et à l’hygiène et à la sécurité du travail(2).
1-La durée du travail :
Si une législation appropriée ne vient pas imposer au sein de la vie de travail des oasis de repos, l’homme écrasé par sa tâche n’est plus qu’un simple instrument de production et se trouve dans l’incapacité de consacrer à sa vie familiale ou à des activités culturelles, relieuses ou politiques, le minimum de temps indispensable. L’acuité du problème s’est encore accrue à l’époque moderne. Les conditions nouvelles du travail moderne, parcellaire, monotone, nerveusement fatiguant, rendent plus nécessaire qu’autrefois encore, l’intervention du l législateur. Le problème ne peut toutefois être résolu en tenant compte de considérations purement humanitaires. Il est peu de matières, en effet, où le juriste doive se montrer aussi attentif aux données purement économiques. Il ya lieu aussi de tenir compte des impératifs techniques qui limitent fréquemment la liberté des chefs d’entreprises, de fixer les horaires de travail (dans les usines à feu continu notamment).
Ce fut ne fut pas sans mal que fut admise la nécessité d’une intervention du législateur. La « déification » du travail par les employeurs a constitué un frein non négligeable à la mise en place d’un dispositif protecteur des salariés. Les bonnes âmes ont toujours manifesté beaucoup d’inquiétude devant l’oisiveté, mère de tous les vices, et l’écho de la controverse sur la dignité respective du travail et du loisir s’est prolongée jusqu’à l’époque moderne. En 1936, l’institution des congés payés et la création d’un Secrétariat d’Etat aux Loisirs, confié à Léo Lagrange par le gouvernement de Front populaire, furent accueillis par l’ironie grinçante de la presse de droite et, au procès de Riom, les juges reprochèrent son invention à Léon Blum : elle avait fait prévaloir « l’esprit de jouissance… » .
a)La limitation de la durée journalière ou hebdomadaire du travail :
La limitation de la durée journalière ou hebdomadaire du travail ne fut d’abord réalisée qu’au profit des enfants (L. 22 mars 1841), des femmes (L.19 mai 1874) et des adultes travaillant dans des établissements employant en même temps les enfants (Loi de 1900, 1902, 1904). Après la guerre de 1914-1918, fut votée la loi du 23 avril 1919, dite des « 8 heures ». C’est, il convient de le noter, à cette époque, la durée journalière de travail qui est réglementée par l’Etat.
Après les événements de 1936 et l’avènement du Front populaire, une loi du 21 juin 1936 instaura la semaine de 40 heures. Cette réglementation fut mise en veilleuse pendant la guerre. Après la libération, la loi du 26 février 1946 à rétablir le principe général de la semaine de 40 heures, assoupi par l’octroi possible d’heures supplémentaires payées à un tarif majoré (25 % de la 41e à la 48e inclusivement ; 50% au-delà de 48 heures). En aucun cas, il ne pourra être effectué plus de soixante heures de travail au cours d’une semaine ; la durée moyenne hebdomadaire du travail dans une entreprise ne devant pas en principe être supérieure à 54 heures (L. 18 juin 1966). Il est, par ailleurs, interdit d’occuper plus de 6 jours par semaine un même employé ou ouvrier (article 31, liv. II, C.T.). Le repos hebdomadaire doit avoir une durée minima de 24 heures consécutives et doit être donné le dimanche. La vie économique ne pouvant s’arrêter complètement le dimanche, des dérogations de plein droit à la règle du repos dominical sont accordées par l’art. 38, liv. II, à un certain nombre d’entreprise.
Par contre, le code du travail ne formule aucune interdiction générale concernant le travail des jours fériés, qui ne sont pas nécessairement chômés ; seul le 1er mai est obligatoirement chômé en vertu d’une disposition légale (L. 30 avril 1947). Le chef d’entreprise est donc théoriquement libre de décider ou non de chômer, encore que les usages et les conventions collectives puissent sur ce point limiter sa liberté.
b) Les congés payés
Seuls un repos d’une durée suffisante peut assurer au salaire une halte véritable dans sa vie professionnelle, qui lui permettre de s’évader de son usine ou de son bureau… L’alourdissement des coûts de production imposé par une telle mesure sociale a longtemps constitué un obstacle à son insertion dans le droit positif. Il fallut des circonstances exceptionnelles (avènement du gouvernement de Front populaire et ralentissement de l’activité économique) pour que puisse être brisée la résistance patronale et réalisée cette importante reforme (loi du 20 juin 1936).
Bien que les textes sur les congés payés (article 54 f à 54 m, liv. II) aient, à diverses reprises, été remaniés dans un sens favorable aux salariés, les principes de l’institution n’ont pas été modifiés depuis 1936. Tout travailleur ayant accompli un temps de travail minimum a droit, chaque année, à nombre de jours de congés proportionnel au temps de travail accompli dans l’entreprise ou parfois la profession. Depuis la loi du 27 mars 1956, la durée du congé annuel est d’un jour ouvrable et demi par mois de travail, sans pouvoir excéder 18 jours ouvrables. Après un an d’ancienneté, les salariés ont donc droit légalement à trois semaines de congé payés. Pendant son congé annuel, le travailleur reçoit une indemnité à la charge de l’employeur, calculée de manière à compenser la perte de salaire provenant du congé. La majorité des salariés français ont pu, grâce à la signature de très nombreuses conventions collectives et accords d’entreprises, obtenir une quatrième semaine de congés payés (1).
Des diverses réformes sociales, réalisées en 1936 par le gouvernement de Front populaire, c’est bien celle des congés payés qui a connu la fortune la plus spectaculaire. Mais, du fait du niveau très bas de certains salaires, il est impossible à de très nombreux bénéficiaires des congés payés de s’évader à cette occasion du cadre de leur vie quotidienne : en 1964, environ 44 % des français sont partis effectivement en vacances (2). Pour beaucoup la « civilisation es loisirs » demeure encore un mirage. Certaines « conventions collectives prévoient l’allocation de « primes de vacances » destinées à couvrir les frais supplémentaires impliqués par les départs en congé.
2) Hygiène et sécurité du travail :
Le risque d’accident du travail ou de maladie professionnelle s’est, à l’époque moderne, considérablement accru avec du machinisme. Le titre II du livre II du code du Travail est tout entier consacré à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs. Ce texte ne contient pas à lui seul, il s’en faut, toute la réglementation du travail relative à l’hygiène et à la sécurité. Les articles 70 et suivants se bornent en effet à poser les principes de base, renvoyant pour leur application concrète à de multiples décrets, en arrêtés. Du fait de l’évolution des techniques et des dangers nouveaux menaçant les salariés, les textes relatifs à l(hygiène et à la sécurité du travail dont l’objet de fréquentes modifications ou additions.
La réglementation du travail n’est malheureusement qu’imparfaitement appliquée, ce qui s’explique par le faiblesse des effectifs de l’Inspection du Travail, la résistance des chefs d’entreprise, mus par un esprit d’économie, parfois aussi par l’attitude délibérée des salariés, gênés dans leur travail par des dispositifs protecteurs, et prompts à s’en débarrasser. Il y a eu, en 1961, pour 11 005 087 travailleurs, 1 195 056 accidents du travail (dont 2 188 mortels), auxquels il peut ajouter 193 989 accidents de trajet (dont 1 415 mortels). La branche d’activité du bâtiment et des travaux publics détient le triste record des accidents mortels (955 décès en 1964), suivie par la métallurgie avec 320 décès, qui vient en tête pour le chiffre total des accidents (368 390). Cette hécatombe s’est d’ailleurs par dépourvue d’incidence sur le plan pénal. Des peines frappent les chefs d’entreprises coupables d’infractions aux dispositions du C.T). En cas d’accident corporel, le chef d’établissement peut être poursuivi pour homicide ou coups de blessure par imprudence devant le tribunal correctionnel (art. 319 et 320, Pénal).
LA PROTECTION DE L’EMPLOI
La politique de protection de l’emploi est pour suivie niveaux : le premier souci du est de faciliter l’accès à l’emploi (1), puis d’assurer dans la mesure du possible la stabilité de cet emploi(2) ; si le maintien dans le même emploi ne peut être garanti, il faut, dans les délais les plus brefs, trouver une nouvelle place au travailleur licencié : c’est le but de la politique de continuité de l’emploi (3).
a) L’accès à l’emploi :
Le principe de la liberté du travail a fait son apparition dans le droit public français avec le décret d’Allarde des 7-14 mars 1791, qui n’a pas été abrogé depuis : « il sera libre à toute personne de faire tel négoce et d’exercer telle profession, ou tel métier qu’elle trouvera bon. » Mais la liberté du travail n’est qu’une illusion si le droit en vigueur ne s’efforce d’assurer aux salariés un emploi stable en reconnaissant à tous un égal droit au travail (1). Ce n’est en effet que si l’Etat, par son intervention, réussit à mettre en œuvre une politique cohérente de plein emploi, que chaque individu désireux de travailler, pourra concrètement exercer la liberté qui lui est théoriquement reconnue, en signant avec tel ou tel employeur de son choix, un contrat de travail (2).
b) Le droit au travail :
Le droit au travail, qui a tenu dans les luttes ouvrières du XIXe siècle une place considérable, a reçu une consécration constitutionnelle explicite dans le préambule de la Constitution de 1946 : « chacun a la devoir de travailler, a le droit d’obtenir un emploi. » Ce droit est toutefois en droit « abstrait » (1) qui est opposable à l’Etat, à la société dans son ensemble mais qui, sauf exception (priorité d’embauchage ou de réembauchage notamment), ne peut être invoqué à l’encontre d’un employeur déterminé, considéré comme « débiteur d’emploi ». Le droit au travail risque de demeurer à l’état d’enveloppe vide si l’Etat n’intervient pas définitivement sur le marché du travail pour le discipliner et ne met en œuvre une politique de formation professionnelle.
Le monopole du paiement du placement est réservé, en principe, au service de la main-d’œuvre. L’ordonnance du 24 mai 1945 a posé le principe de la suppression de tous les bureaux payants, car un courtage commercial s’exerçant sur le travail humain a quelque chose de choquant. Faute de texte d’application, la règle est demeurée pour une part inappliquée. Les bureaux payants qui subsistent (notamment dans le spectacle et les professions domestiques) sont soumis par l’ordonnance de 1945 à un contrôle des services de la main-d’œuvre et à une tutelle de l’autorité municipale.
Quant aux bureaux gratuits qui, dans le passé, s’étaient trop souvent inspirés de considérations étrangères à la valeur professionnelle des candidats à un emploi, il est interdit depuis 1945 d’en créer de nouveaux. Les anciens bureaux gratuits fonctionnent sous le contrôle des services de la main d’œuvre. Malgré ces exceptions, le principe est bien ce lui du monopole de placement au profit du vice étatique : « Tout travailleur recherchant un emploi, est tenu d’acquérir son inscription auprès du service départemental de la main d’œuvre. Tout chef d’établissement doit notifier au même service, toute place dans son entreprise » (article 6, O. 1945).
Le monopole reconnu en matière de placement au service de la min d’œuvre n’a pas, comme on pourrait le penser, sonné le glas de la liberté d’embauchage. Nul employeur n’est tenu d’agréer le salarié présenté, ni ce dernier d’accepter l’emploi qui lui a été indiqué par les services de la main-d’œuvre. L’employeur aussi bien que le salarié peut recourir à l’embauchage direct (art. 8, O. 24 mai 1945). Mais le principe de la liberté d’embauchage n’exclut nullement un certain contrôle de l’administration du travail. L’embauchage n’est absolument libre que dans les professions domestiques, artisanales ou agricoles. Dans tous les établissements industriels et commerciaux, l’employeur est tenu avant l’embauchage de solliciter l’autorisation des services de la main-d’œuvre. Pour ce qui concerne les salariés des professions libérales, des offices ministériels et des syndicats professionnels, seule la déclaration préalable à l’embauchage est requise. Le refus de l’administration, valable s’il s’inspire seulement de considérations d’ordre économique, est susceptible d’appel devant le directeur départemental du travail.
Le nombre de refus d’embauchage pour motifs économiques est infime et, d’une façon générale, la jurisprudence de la Cour de Cassation a considérablement limité la portée de l’ordonnance du 24 mai 1945, tant en ce qui concerne le placement que le contrôle de l’embauchage. La proclamation de principe dans le préambule de la Constitution de 1946 du droit au travail ne s’est pas accompagnée de la mise en place effective d’institutions étatiques dotées de pouvoirs suffisants pour définir et imposer une véritable politique de l’emploi, puisque aussi bien une commission officielle évaluait réellement à moins de 10% le nombre total des placements effectués par le canal des services de la main-d’œuvre (rapport de la commission de la Main-d’œuvre du Ve plan, liaisons sociales, n° 59166 du 18 mai 1966, p. 8). Pour pallier les insuffisances de ce singulier « monopole » une reconversion est en cours : création d’un service des statistiques et des prévisions au ministère des affaires sociales ; quadrillage du territoire par l’implantation de véritables « bourses de l’emploi ».
Si théoriquement, le principe de la liberté du travail permet un libre accès aux différentes professions, pour la plupart des emplois les plus intéressantes une invisible barrière s’oppose aux candidats s’ils ne peuvent fournir la preuve d’une qualification professionnelle déterminée, véritable sésame du marché de l’emploi. L’apprentissage pour les jeunes, un complément de formation pour des adultes dépassés par le progrès technique, apparaissent dans cette perspectives essentiels.
Par le contrat d’apprentissage, un chef d’établissement s’engage à donner ou à faire donner une formation professionnelle méthodique et complète à une personne qui s’oblige à travailler pour lui, le tout à des conditions et pendant un temps convenus (article 1, CT). Le maître est tenu de verser son salaire à l’apprenti, s’il en a été convenu un, mais l’obligation essentielle qui pèse sur lui est évidemment de donner à celui-ci la formation professionnelle qu’il s’est engagé à lui fournir. Le maître qui négligerait cette tâche pourrait être privé par le conseil des prud’hommes du droit de recevoir des apprentis (article 7a). Tenu de se comporter en bon père de famille, le maître doit veiller à l’éducation générale de l’apprenti et lui laisser le temps nécessaire pour compléter son instruction, si celle-ci est insuffisante (article 8 et 9).
Quant à l’apprenti, il est comme tout salarié (le statut des salariés s’applique à l’apprenti en matière d’assurances sociales, d’accident du travail, de réglementation du travail, de compétence du conseil des prud’hommes) placé en état de subordination vis-à-vis du maître et doit, en conséquence, accomplir la prestation qui lui est demandée « dans la mesure de son aptitude et demandée « dans la mesure de son aptitude et de ses forces » (art 3). Tenu de demeurer au service du maître pendant le temps convenu, il doit à celui-ci « obéissance et respect » (art 3). Le contrat d’apprentissage lie très strictement les parties en présence : il ne peut être rompu que dans des hypothèses exceptionnelles, limitativement énumérées par le code du Travail (art 76, 14 et 15).
Enseignement technique : l’évolution technique a entraîné le déclin de la forme traditionnelle d’apprentissage, qui se faisait autrefois « sur le tas ». Les employeurs sont assujettis, pour financier l’enseignement technique, à une taxe d’apprentissage assise sur les salaires (0.60%), qu’ils ont la liberté d’affecter à des établissements déterminés.
La présence d’un ou plusieurs apprentis est une gêne et constitue un facteur de désorganisation de la production lorsque celle-ci est tributaire du fonctionnement régulier d’une chaîne de montage. Il faut organiser alors des ateliers spécialisés où les apprentis recevront collectivement un enseignement professionnel. Cela n’est possible que dans les grandes entreprises. Toutes d’ailleurs n’acceptent pas cette lourde charge ; il est, dès lors, nécessaire de mettre sur pied un véritable enseignement technique préparant à des diplômes professionnels (CAP, brevet de technicien, etc.). La formation dispensée n’aura plus que de lointains rapports avec l’apprentissage traditionnel.
Malgré les efforts déployés dans ce sens, bien des jeunes ne bénéficient d’aucun apprentissage, nombre d’entre eux sont « aiguillés » dans une mauvaise direction : il y a en France 800 conseillers d’orientation professionnelle, alors que les besoins sont estimés à 8 000 (v. orientation professionnelle et réussite ouvrière. Deux enquêtes de la JOC, colloque de Royaumont, 1963, liaisons sociales, n°55163 du 12 juin 1963).Trente pour cent au moins des jeunes travailleurs accèdent au marché du travail sans avoir bénéficié d’aucune formation professionnelle.
La formation professionnelle des adultes : les connaissances acquises par les salariés lors de leur apprentissage ou lors de leur séjour dans un établissement technique risquent, du fait de la rapidité de l’évolution technique, d’être assez rapidement périmées. Une politique rationnelle de formation professionnelle ne peut s’adresser aux seuls jeunes gens et être centrée uniquement sur l’apprentissage, elle doit permettre aux adultes une mise à jour de leurs connaissances ou l’acquisition de connaissances ou l’acquisition de connaissances nouvelles. Connue dès 1936, la FPA (le sigle signifiait à l’époque : formation professionnelle accélérée) ou formation professionnelle des adultes, assume une mission permanente d’adaptation ou de réorientation des travailleurs. La gestion des centres de FPA a été confiée à l’ANIFRMO (Association Nationale Interprofessionnelle de Formation Rationnelle de la Main-d’œuvre), qui est elle-même administrée sur une base tripartite (administration, syndicats patronaux, syndicats ouvriers). Les travailleurs désireux de compléter leurs connaissances ou d’acquérir une nouvelle qualification professionnelle percevront des indemnités qui leur permettront de participer à un stage de formation dans un centre de FPA. Les capacités d’accueil de ces centres sont en voie d’accroissement. La prise de conscience de ce que l’augmentation du nombre des travailleurs qualifiés à tous les niveaux de la hiérarchie de l’emploi est une condition fondamentale de l’expansion économique française dans les prochaines années (rapport de la commission de la main d’œuvre du Ve plan, liaisons sociales, n° 56166 du 18 mai 1966) a conduit le gouvernement à accroître son effort dans ce domaine : la loi du 16 décembre 1966 pose en principe que la formation professionnelle et de la promotion sociale, prévoit des moyens financiers renforcés, etc.
c)Le contrat de travail : il est souvent affirmé à l’époque moderne que le contrat de travail n’a plus l’importance qui était autrefois la sienne : marquée du signe de l’ordre public, une législation sociale envahissante ne laisserait, de nos jours, que peu de place au libre déploiement de la volonté des parties ; celles-ci doivent aussi tenir compte du réseau très dense d’accords collectifs, tissé par les organisations professionnelles… autant de raisons d’affirmer le « déclin » du contrat de travail et le caractère mineur de cette technique individualiste.
Il y a dans cette thèse beaucoup d’outrance car, mis à part des hypothèses tout à fait exceptionnelles (réquisition de main d’œuvre par exemple), seule la conclusion d’un contrat individuel de travail permet de concrétiser un « droit au travail », jusqu’alors trop diffus pour présenter une quelconque utilité, c’est seulement à ce niveau qu’il sera possible d’adapter à la situation particulière du salarié les règles légales et conventionnelles, en y apportant le plus souvent, conformément à l’esprit même du droit de travail, des améliorations sensibles.
Le terme même de « contrat de travail » est récent sur le code civil ne connaît que le louage de services » (art 1780). Mérite cette qualification « la convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération » (G.H. Camerlynck et R. Lyon-Caen, n°97). Un tel contrat qui implique, bien entendu, la fourniture d’une prestation de travail (peu importe d’ailleurs la forme que celle-ci revêt, travail manuel ou intellectuel) se caractérise donné par son onérosité, d’une part (une prestation de travail gratuite peut trouver sa justification dans un contrat d’entraide mais non dans un contrat de travail), par l’existence d’un lien de subordination, d’autre part : le travailleur indépendant qui ne s’est pas placé sous l’autorité d’un employeur demeure étranger au droit du travail. L’employeur est juridiquement fondé à donner des ordres que le salarié est tenu d’exécuter. Le contrat de travail, dont la conclusion est parfois précédée d’un essai, n’a aucun caractère solennel et n’est pas nécessairement rédigé par écrit. Valablement il met à la charge des parties des obligations réciproques : l’employeur est tenu de verser au salarié la rémunération convenue et doit lui faciliter l’accomplissement de sa tâche ; le salarié doit exécuter personnellement et de façon consciencieuse la prestation de travail qu’il s’est engagé à fournir. Dans l’exécution du travail, et c’est là le propre du contrat de travail, le salarié se place dans un rapport de subordination qui l’oblige, non seulement à accomplir une tâche, mais à obéir à des ordres. Selon les cas, le contrat est à durée déterminée ou à durée indéterminée. Juridiquement astreignantes pendant toute la durée prévue dans le premier cas, les obligations des parties prennent fin, dans le second, dès l’instant où l’une ou l’autre des parties décidera de reprendre sa liberté. La distinction entre ces deux sortes de contrat qui n’offre guère d’intérêt au regard du régime et des conditions du travail revêt au contraire une importance essentielle lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre, comme le législateur s’est efforcé de la faire à l’époque moderne, une politique efficace de stabilité de l’emploi.
1)La stabilité de l’emploi : en réaction contre les excès du régime corporatif où le compagnon ne pouvait librement quitter l’atelier où il travaillait sous l’autorité d’un maître, l’art 1780 du code civil, plus tard repris par l’art 23, liv. I du code du travail, a posé le principe que le « louage de services, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté de l’une des parties contractantes ». Certes, le travailleur peut, s’il le désire, quitter facilement son emploi. L’avantage n’est pas hélas sans contrepartie. Si le travailleur est libre de quitter l’entreprise pour s’embaucher ailleurs, l’employeur doit être libre aussi de le renvoyer. « Fragilisé » à l’extrême par cette faculté de résiliation unilatérale, le lien contractuel ne donne au salarié aucune garantie de stabilité. Toute amélioration véritable de la condition des salariés suppose, dès lors, la mise en œuvre d’une politique de stabilité de l’emploi, de nature sinon à supprimer, tout au moins, à atténuer, le sentiment d’insécurité qui affecte le travailleur menacé du jour au lendemain de perdre son gagne-pain. Aussi bien s’agit-il là sans aucun doute, de l’une des « constantes » du droit de travail moderne. Techniquement, le problème posé par le renforcement du lien contractuel unissant l’employeur au salarié est difficile à résoudre, la stabilisation du rapport contractuel ne saurait, en aucun cas, être obtenue contre la volonté des intéressés eux-mêmes. Il ne saurait davantage être fait abstraction des impératifs d’ordre économique qui s’opposent à une stabilité complète de la main-d’œuvre. Notre droit positif tient compte de ces données contradictoires. Sans revenir sur le principe du droit de résiliation unilatérale, il s’efforce de limiter le nombre des licenciements (A), d’en atténuer les conséquences par l’institution d’un délai-congé (B) ; d’assurer enfin la réparation du préjudice subi par le salarié obligé de quitter son emploi (C).
A) La limitation du nombre des licenciements : Pour prévenir au maximum les licenciements, quatre techniques sont cumulativement utilisées dans notre droit positif. Le contrôle de l’autorité publique (a), le rattachement du contrat de travail à l’entreprise elle-même, élément permanent et non à la personnalité changeante du chef d’entreprise (b) ; la théorie de la rupture abusive du contrat de travail (d).
a) le contrôle administratif : dans les établissements industriels et commerciaux, tout congédiement doit être autorisé préalablement par le service départemental de Main-d’œuvre ; dans les autres entreprises s’appliquent, suivant les cas, le régime de la déclaration de la résiliation ou de la liberté intégrale, la violation de cette réglementation est en principe sanctionnée par des peines correctionnelles. Mais la jurisprudence a singulièrement limité la portée de l’ordonnance du 24 mai 1945. L’administration du travail, investie seulement d’une mission de contrôle de l’emploi, ne peut faire obstacle à un licenciement que pour des motifs d’ordre économique, abstraction faite de toute considération d’équité. Les services de la main-d’œuvre n’utilisent d’ailleurs que rarement les prérogatives qui leur sont conférés. Seules en pratique certaines demandes de licenciement collectif se voient opposer un refus. Encore faut-il préciser qu’un congédiement intervenu sans que l’autorisation administrative ait été sollicitée ou obtenue, dont l’auteur peut encourir de ce chef des sanctions pénales, n’en demeure pas moins valable sur le plan civil. Le contrôle administratif n’est donc pas de nature à limiter de façon efficace le nombre des licenciements.
b) « l’affermissement » du lien contractuel : le rattachement du salarié à l’entreprise (art 23, al 8, liv. II du CT). D’après l’art 23, al 8 du CT : « s’il survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel entrepreneur et le personnel de l’entreprise. » Les vicissitudes juridiques que connaît l’entreprise sont sans influence aucune sur le sort des salariés, dès lors qu’est assurée la permanence économique de celle-ci(1). La jurisprudence ne s’est pas trompée sur le sens de cette réforme, qui affirme dans une formule devenue de style, qu’elle est « destinée à garantir aux salariés la stabilité de l’emploi » (soc 16 janvier 1959). Le maintien des contrats de travail s’applique chaque fois que « les salariés continuent le même travail sous une direction nouvelle » (soc 22 décembre 1950). Le texte a fait l’objet de très nombreuses applications. L’énumération de l’article 23, al 8, n’a aucun caractère limitatif : le texte ne cesse de s’appliquer que si le successeur exploite une entreprise nouvelle entièrement distincte de la précédente.
La stabilité de l’emploi n’est pas cependant aussi efficacement assurée qu’on pourrait le croire. Les salariés, dans leurs relations avec le nouvel employeur, jouissent de droits identiques à ceux dont ils disposaient à l’encontre de l’employeur précédent. Modelées sur ces derniers, ils subissent les mêmes restrictions. Le nouvel employeur, responsable comme le précédent, de l’organisation de ses services, conserve le droit de rompre les contrats de travail dans les conditions de l’art 23 al 1, et ne peut être condamné à des dommages-intérêts qu’en cas d’abus prouvés à son encontre (soc 14 novembre 1962). A moins de collusion frauduleuse entre les employeurs successifs, pour éviter le jeu de l’art 23, al 8, la réorganisation de l’entreprise, consécutive à une modification de structure juridique, reste possible ; l’expérience prouve qu’elle est fréquente… et par là même se trouve réduite la portée de l’art 23, al 8.
c)La théorie de la suspension du contrat de travail : lorsque l’exécution du contrat de travail, contrat successif, est temporairement rendue impossible par des événements affectant la personne du salarié ou l’entreprise elle-même, une politique cohérente de stabilité de l’emploi doit écarter la solution brutale de la rupture pour y substituer la solution d’attente de la suspension du contrat de travail. Lorsque la cause de suspension aura disparu, le contrat provisoirement mis en état « d’hibernation juridique » recouvrera sa vertu contraignante et régira à nouveau les rapports des parties.
C’est grâce à cette technique de la suspension que se trouvent légalement protégées les femmes enceintes (art 29 liv. I, CT), le travailleur rappelé sous les drapeaux (art 25), le salarié élu au Conseil des Prud’hommes (art 22, D, 22 décembre 1958), conseiller municipal, conseiller général ou membre du conseil d’administration d’un organisme de sécurité sociale (L. 2 août 1949), le salarié gréviste dont le contrat n’est rompu que s’il se rend coupable d’une faute lourde (art 4, L ; 11 février 1950), le salarié qui suit un stage de formation professionnelle (L, 6 décembre 1966).
La jurisprudence, relayée par les conventions collectives, invoque également l’idée de suspension pour « sauver » les contrats de travail dont l’exécution est provisoirement entravée. La jurisprudence admet depuis longtemps que la maladie du salarié, à condition d’être de brève durée et de ne pas imposer le remplacement, provoque simplement une suspension du contrat. L’employeur se rendait coupable d’un licenciement abusif s’il tirait argument d’une brève absence de son salarié pour cause de maladie, pour le congédier.
Pendant la durée de la suspension, l’autorité exercée par l’employeur sur le salarié disparaît ( les accidents subis par le salarié ne sont plus des accidents du travail) ; l’employeur n’est plus, en tant que « commettant », responsable des dommages causés par le travailleur, le salarié ne fournissant pas la prestation de travail prévue ne percevra en principe aucun salaire (en cas de maladie, il percevra toutefois les prestations de la sécurité sociale et certaines conventions collectives lui assurent le versement partiel ou intégral de son salaire pendant un certain temps). Le salarié conserve son ancienneté et le droit à son emploi.
d) La théorie de la rupture abusive du contrat : La perte de son emploi a pour le salarié, des conséquences trop lourdes pour que l’employeur puisse, sans contrôle judiciaire, être autorisé à mettre fin au contrat de travail. La nature de ce contrôle varie suivant le type de contrat considéré.
e)S’agit-il d’un contrat à durée déterminée, longtemps considéré comme apportant au salarié la garantie la plus sûre de stabilité de l’emploi, les parties ne peuvent, sauf bien entendu dans le cas d’un consentement mutuel, dénouer le lien contractuel avant que le contrat ne soit arrivé à son terme. La partie désireuse de rompre devra s’adresser à la justice qui appréciera les griefs invoqués à l’encontre de l’autre partie justifiant une rupture avant terme. Il est vrai que si la continuation de la collaboration des parties est rendue elles, la résolution du contrat peut être immédiate sous réserve d’un contrôle judiciaire a posteriori, destiné à vérifier l’importance véritable du grief allégué.
f) La théorie de la rupture abusive du contrat de travail à durée indéterminée à connu une fortune singulière. Ce sont les juridictions inférieures qui, les premières, ont au XIXe siècle, fait application à la rupture unilatérale du contrat de travail de la théorie civiliste, neuve à l’époque, de l’abus de droit, selon laquelle il peut y avoir faute dans l’exercice d’un droit , et tout particulièrement dans l’exercice du droit de congédiement. Mais à cour de cassation se refus obstinément à entériner cette thèse, en affirmant que le louage de services fait sans détermination déplacée, peut toujours cesser par la libre volonté de l’un ou l’autre des contractants ». La formule est intégralement reprise par la loi du 27 décembre 1890, modifiant l’article 1780 du code civil, mais assortie d’un important correctif : « néanmoins, la résiliation du contrat par la volonté d’un seul des contractants peut donner lieu à dommages-intérêts. » La jurisprudence sur la rupture abusive, avait désormais un fondement légal.
Aussi bien, pour faciliter l’action du salarié à qui incombait toujours la lourde charge de la preuve, une loi du 19 juillet 1928 (CT liv I, art 23) imposa au juge de mentionner dans sa décision le motif allégué par la partie qui a rompu le contrat. N’était-ce pas là implicitement obliger l’auteur de la rupture à fournir un juste motif de licenciement sous contrôle des tribunaux ? Las ! La cour de cassation, estimant que ce texte n’a pas supprimé le droit de résiliation unilatérale, a maintenu obstinément sa jurisprudence antérieure sur la charge de la preuve. C’était vider de sa substance de réforme législative. Le droit de la rupture abusive, d’une importance extrême, ainsi qu’en témoignage le nombre des litiges, demeure donc, pour l’essentiel, jurisprudentiel.
Les décisions, admettant le caractère fautif d’un licenciement, constituent la majeure partie de « production » de la chambre sociale de la cour de cassation. La censure de la cour suprême s’est exercé dans les hypothèses les plus diverses. L’employeur engage sa responsabilité, non seulement lorsqu’il a agi avec l’intention de nuire (la preuve de cette volonté est, sauf circonstances exceptionnelles, difficile à rapporter), mais aussi lorsqu’il peut être reproché une « légèreté blâmable », qui se prête plus aisément à une appréciation objective. L’employeur comment une faute s’il néglige d’observer les formes prévues par la convention collective ou l’accord d’entreprise applicable. Sa « légèreté » sera condamnable si, après avoir fait croire lors de l’embauche qu’il s’agissait d’une situation stable, il a peu de temps après mis fin au contrat… ; « légèreté » également si le chef d’entreprise a licencié le travailleur dans des conditions vexatoires de nature à le discréditer aux yeux de ses compagnons de travail ou de ses futurs employeurs.
A fortiori sa responsabilité sera-t-elle engagée si en violation des dispositions légales impératives, il a licencié un salarié, compte tenu d’une activité syndicale normale, sacrifié une salariée enceinte ou congédié un gréviste auquel nulle faute lourde commise à l’occasion de la grève ne pouvait être reprochée.
L’abondance de la jurisprudence ne doit pas toutefois faire illusion. Le problème de la preuve du caractère abusif du congédiement revêt toujours une importance capitale : c’est le salarié qui, en tant que demandeur, doit prouver le caractère abusif du licenciement et la décision de l’employeur bénéficie de ce chef d’une présomption de régularité. La jurisprudence affirme avec constance que « le chef d’entreprise responsable de la bonne marche de celle-ci, est juge des circonstances dans lesquelles elle se trouve compromise » (ch. Réun., 27 avril 1961). Il lui est dès lors possible de procéder à toutes les mesures de réorganisation qu’il estime utiles, dussent-elles entrainer une réduction des effectifs du personnel. L’ »intérêt de l’entreprise » derrière lequel il s’abritera est de nature à justifier le sacrifice des membres du personnel qu’il choisira librement sans qu’aucune faute ne leur soit imputable.
Certes, le motif ainsi allégué n’est pas de nature à tout purifier, mais la jurisprudence, sacrifiant de façon excessive au principe de la souveraineté du chef d’entreprise, a jusqu’à imposer au salarié congédié une preuve à un double degré : il ne lui suffit pas de prouver l’inexactitude du motif avancé par l’employeur, encore lui faut-il démonter le caractère abusif du motif véritable qui a guidé le chef d’entreprise. Echouerait-il dans cette double démonstration, la preuve du mensonge de l’employeur resterait en elle-même irrélevante ; seule sera prise en considération une faute dans l’exercice du droit de congédiement et non une faute dans la gestion de l’entreprise, même si, indirectement, celle-ci a entrainé des licenciements.
Dans une affaire typique où des fautes de gestion, depuis longtemps dénoncées par le comité d’entreprise avaient conduit à la fermeture de l’entreprise, la cour de cassation a rappelé que l’ »employeur qui porte la responsabilité de l’entreprise, est seul juge des circonstances qui le déterminent à cesser son exploitation… aucune disposition légale ne lui fait obligation de maintenir son activité à seule fin d’assurer à son personnel la stabilité de son emploi, pourvu qu’il observe à l’égard de ceux qu’il emploie, les règles édictées par le code du travail » (soc, 31 mai 1956. Etablissements Brinon).
B) atténuation des conséquences du licenciement :
Le délai-congé : si la survie des contrats de travail ne peut, en toute hypothèse, être assurée contre la volonté des intéressés eux-mêmes, encore faut-il éviter que les conséquences fâcheuses de la rupture d’un contrat de travail à durée indéterminée ne soient aggravées par la brusquerie de cette dernière. Une période de transition doit être ménagée. Tel est l’objet du délai-congé ou délai de préavis. Le préjudice subi par l’employeur en cas de départ de son salarié étant en général moindre que celui encouru par le travailleur en cas de perte de son emploi, la durée du préavis de démission ne se modèle pas automatiquement sur celle du préavis de licenciement. Lorsqu’un travailleur met fin volontairement à son contrat, il est seulement tenu de respecter les usages en la matière (la plupart du temps, respect d’un préavis très bref et, parfois, départ immédiat). S’agit-il au contraire d’un congédiement, le travailleur ayant une ancienneté de service d’au moins 6 mois dans l’entreprise (s’il n’a pas atteint cette ancienneté, il continuera comme auparavant a être régi par les usages ou par les conventions collectives), bénéficiera d’un délai de préavis d’un mois, à condition toutefois qu’il ne soit pas rendu coupable d’une faute grave qui autoriserait son employeur à rompre immédiatement le contrat.
Le délai-congé d’un mois ne constitue d’ailleurs qu’un minimum légal qui peut être amélioré par les usages et les conventions collectives. Un délai-congé de trois mois est pratiquement la règle pour les employés supérieurs et cadres. Pendant cette période de transition, chacune des parties reste tenue aux mêmes obligations que précédemment (le salarié bénéficie toutefois de deux heures par jour pour rechercher un nouvel emploi). En cas de brusque rupture, l’employeur doit verser une indemnité de délai-congé égale au montant du salaire qui aurait été perçu observé. Cette indemnité ne saurait en aucun cas être confondue avec les diverses indemnités auxquelles le salarié pourra éventuellement prétendre à titre de réparation du préjudice qu’il a subi du fait de ce congédiement.
C) La réparation du préjudice subi par le salarié en cas de congédiement : le travailleur qui perd son emploi subit de ce fait un lourd préjudice. Son licenciement est-il imputable à la faute de son employeur, sa réparation ne soulève en son principe, sinon en ses modalités, aucune difficulté. La meilleure façon de réparer les conséquences dommageables de la faute du chef d’entreprise, serait évidemment d’ordonner la réintégration de l’intéressé, dans l’emploi qu’il occupait ou dans un emploi analogue. Mais la jurisprudence, par application de la règle classique de l’art 1142 du code civil, selon laquelle les obligations de faire se résolvent en cas d’inexécution en dommages et intérêts, se borne à accorder au travailleur licencié une indemnité de rupture abusive. L’intolérable atteinte à l’autorité patronale que constituerait, à l’issue d’une instance judiciaire, le retour d’un salarié précédemment exclu de l’entreprise, telle est la justification traditionnellement avancée pour expliquer cette solution peu favorable au salarié. L’argument, valable pour les petites et moyennes entreprises, est sans grande pertinence dans les entreprises importantes où la dépersonnalisation des rapports de travail est telle qu’il n’y aurait, semble-t-il, guère d’inconvénients au retour du salarié abusivement exclu dans un atelier ou un établissement différent.
Lorsque le salarié a fait pour un juste motif l’objet d’un congédiement régulier après l’observation du délai-congé, il ne peut être question de mettre automatiquement à la charge de l’employeur, qui n’a commis aucune faute, l’indemnisation du préjudice subi par le salarié (art 29 o, liv. I CT). L’exclusion de principe de toute réparation au profit du salarié régulièrement congédié est apparue toutefois choquante à l’époque moderne. Lorsqu’un travailleur a consacré plusieurs années de sa vie professionnelle à la même entreprise, peut-on admettre que le chef de celle-ci se soit acquitté de toutes ses dettes à son égard par le seul paiement régulier des salaires ? L’attribution par voie conventionnelle d’une indemnité de licenciement, fondée sur l’ancienneté du salarié comble, dans de très nombreuse hypothèses, les lacunes de notre législation, qui connait seulement un régime de faveur pour les journalistes professionnels et les représentants de commerce. L’indemnisation du préjudice subi par le salarié ne peut toutefois être complète si, par des mesures appropriées, n’est assurée la continuité de la carrière professionnelle de celui-ci.
La continuité de l’emploi : Que le salarié ait été licencié, ou qu’il ait pris librement l’initiative de la rupture, il faut, dans les meilleurs délais, lui assurer la poursuite d’une activité professionnelle. La recherche et l’obtention d’un nouvel emploi seront facilitées par la remise à l’intéressé d’un certificat de travail. Le salarié muni de cette pièce, conformément au principe de la liberté du travail, peut postuler un emploi dans n’importe quelle entreprise, fût-elle concurrente de celle qu’il vient de quitter. La jurisprudence veille à ce que les clauses de « non-concurrence » ou de « non-réembauchage » par lesquelles les entreprises cherchent à se prémunir contre le danger d’un passage ultérieur de leurs salariés au service d’une entreprise rivale, ne constituent un obstacle trop gênant pour le reclassement des licenciés. La situation sur le marché du travail peut être telle que, dans l’impossibilité de trouver un nouvel emploi, le travailleur ne puisse, même avec l’aide des services départementaux de la main-d’œuvre, trouver une nouvelle embauche conforme à ses aptitudes et à ses qualifications. Une loi du 18 décembre 1963 a institué un fonds national de l’emploi, destiné à faciliter par des incitations et des aides appropriées, l’acquisition par le travailleur d’une nouvelle qualification professionnelle ou son déplacement d’une région de sous-emploi à une région de plein-emploi. La commission de Main-d’œuvre du Ve plan a dans son rapport général (avril 1966), préconisé la mise sur pied de formules propres à garantir dans leur nouvelle entreprise le bénéfice de leur ancienneté, aux travailleurs contraints à la mobilité par une conversion (V. Rapport de la commission de la Main-d’œuvre, liaisons sociales, n°59.66 du 18 mai 1966).
La protection de la rémunération : le droit à une rémunération convenable est le corollaire du droit à l’emploi. Le travail n’est plus aujourd’hui une « marchandise comme une autre » et le caractère alimentaire du salaire n’est plus discuté ; une rémunération minimum doit donc, en toute hypothèse, être garantie. Il est, en droit positif tenu compte de cette nécessité dans le mécanisme de fixation des salaires (1). Cette utile protection resterait néanmoins insuffisante si des garanties de paiement particulières (2) n’avaient été instituées.
A)Le mécanisme de fixation des salaires : une fixation autoritaire des salaires par l’état, convenable dans une économie de guerre (D1, 10 novembre 1939 et 1er juin 1940) est inopportune et inapplicable dès L’instant où la liberté est restituée aux prix. L’Etat continue certes à intervenir en fixant essentiellement un salaire minimum, mais le rôle des intéressés apparaît aujourd’hui capital.
1) rôle de l’Etat : c’est à l’heure actuelle par le canal de la détermination du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) que l’état assure aux salariés un minimum de protection, tout en conservant par là même un certain contrôle sur l’évolution des salaires. Par application de la loi du 11 février 1950, le gouvernemental, par décret du 23 août 1950, après consultation de la commission supérieur des conventions collectives, fixé le taux horaire du SMIG à 78 anciens francs (à Paris). La commission supérieure des conventions collectives a pour mission d’étudier la composition d’un budget type servant à la détermination du SMIG (CT art 31x). Le gouvernement, qui conserve sa liberté de décision, est obligé de consulter la commission lorsque « compte tenu des conditions économiques générales et de l’évolution du revenu national » (art 31 x 2e al), il augmente le SMIG par décret, sans y être contraint par une variation de l’indice du coût de la vie. A l’augmentation facultative automatique du SMIG, en fonction des variations de l’indice des prix à la consommation. Prévu par la loi du 18 juillet 1952, l’indice de référence a plusieurs fois changé. Un décret du 23 février 1966 a indexé le SMIG sur « l’indice national des prix à la consommation des familles de condition modeste, comportant 259 articles ». Ces « manipulations » successives des indices de référence sont révélatrices de la volonté du gouvernement d’éviter dans la mesure du possible, des hausses du SMIG qui, par leur répercussion sur le niveau général des salaires, compromettraient la poursuite d’une politique économique déterminée. L’augmentation du SMIG est, en effet, automatique lorsque l’indice mensuel est resté pendant deux mois consécutifs à un niveau marquant une augmentation égale ou supérieure à 2%. Le SMIG fixé à l’origine à 78 anciens francs de l’heure, s’élève de puis le 1er octobre 1966 à 210 anciens francs. Le SMIG doit en principe être respecté dans toutes les entreprises qui rentrent dans le champ d’application de la législation sur les conventions collectives et bénéficier au sein de ces dernières à « tous les travailleurs âgés de 18 ans au moins et d’aptitudes physiques normales, à l’exception de ceux liés par un contrat d’apprentissage » (D, 23 août 1950).
Des décrets ont soumis à un régime spécial la marine marchande et l’agriculture (où un SMAG inférieur au SMIG est appliqué). Le taux du SMIG subit des abattements suivant les zones des salaires établies par la réglementation antérieure à 1950. Cette disparité est vivement critiquée par les organisations syndicales qui ont seulement obtenu, au lieu de la suppression souhaitée une réduction de l’ »écart » entre les différentes zones.
L’obligation de verser le SMIG est d’ordre public et sanctionnée pénalement (art 31 zu CT).
Par la détermination du SMIG, l’état n’a en principe d’action directe que sur le niveau des salaires des catégories les plus défavorisées. Un relèvement du SMIG reste juridiquement sans incidence sur les rémunérations des travailleurs qui perçoivent déjà un salaire supérieur au minimum. L’action de l’état quant à la détermination des alaires est, en réalité, beaucoup moins limitée qu’on ne pourrait le croire. Il continue indirectement à exercer un certain contrôle sur l’évolution de la masse salariale. Le gouvernement prodigue les mises en garde aux entreprises qui ne respecteraient pas ses « recommandations ». L’Etat, premier employeur de France, détermine unilatéralement les traitements de ses fonctionnaires ; dans les entreprises publiques et nationalisées, toute mesure concernant les salaires dit être soumise à une commission interministérielle, présidée par le ministre des finances.
2) rôle des intéressés : sous réserve de respecter le SMIG, employeurs et salariés déterminent librement, sous le régime de la loi du 11 février 1950, le niveau des rémunérations. Les conventions collectives susceptibles d’extension contiennent obligatoirement des barèmes de salaires minima (art 31g liv I) que doivent respecter les entreprises rentrant dans le domaine professionnel de l’accord. Les divers emplois de la profession ont été au préalable recensés, classifiés et affectés d’un coefficient hiérarchique. La convention fixant le salaire minimum professionnel du travailleur sans qualification, il est aisé de déterminer arithmétiquement le salaire minimum correspondant à chaque emploi, en faisant jouer le coefficient hiérarchique qui lui a été conventionnellement attribué. Les rémunérations peuvent également être déterminées dans le cadre d’un accord d’établissement.
Si aucun accord collectif n’a été conclu, le taux du salaire est déterminé librement après discussion entre employeurs et salariés, sous la seule réserve de la nécessaire observation du SMIG. En pratique, seul un « cadre » pourra obtenir, après marchandage, un contrat « sur mesure », alors que le simple ouvrier ou employé, en s’agrégeant à la catégorie professionnelle plus vaste que constitue le personnel de l’entreprise, adhère par là même au régime de travail qui a été établi dans celle-ci par l’employeur. Il appartient, en effet, au chef d’entreprise de déterminer les modalités de calcul des salaires. Selon les cas, les salaires seront calculés au temps (le plus souvent rémunération horaire pour les ouvriers et rémunération mensuelle pour les employés) ou au rendement (aujourd’hui en recul).
L’évolution des revenus salariaux est connue avec une exactitude de plus en plus grande, grâce aux enquêtes du ministère du Travail et aux travaux de l’INSEE. La consultation de ces documents officiels montre qu’il subsiste d’importantes zones d’ombre dans le tableau offert par notre société industrielle (v. PM de la Gorge, la France pauvre, Grasset, 1965). Des entreprises marginales sont dans l’incapacité de payer le SMIG et, de crainte de perdre leur emploi, les salaires n’osent dénoncer à l’Inspection du Travail cet état de choses. En 1964, le salaire moyen mensuel d’un ouvrier était de 740 F (837 F pour l’ouvrier qualifié, 588 F pour le manœuvre…) , celui d’un contremaître de 1 325 F ; l’employé percevait 767 F, le cadre moyen 1559 F et le cadre supérieur 3 121 F (n°4 de 1965 de la revue française du travail ; études et conjoncture, novembre 1965 ; le Monde 12 et 13 décembre 1965, p.11) .
3) Les garanties de paiements des salaires : le salaire à un caractère alimentaire. Aussi bien, le régime juridique de la créance de salaire est-il modelé tout entier en fonction de cet impératif essentiel : assurer la subsistance du travailleur et celle de sa famille. Dans ses rapports avec son employeur, le salarié doit pouvoir compter sur un règlement régulier et loyal des sommes qui lui sont dues. Le législateur veille notamment à ce que le salarié soit payé à des intervalles suffisamment rapprochés (art 44 liv I CT). En principe, versé au siège de l’établissement « le salaire des ouvriers et employés doit être payé en monnaie métallique ou fiduciaire ayant cours légal » (art 43), règle qui nous paraît aujourd’hui évidente aux abus anciens de certains employeurs qui ne payaient leurs ouvriers qu’en « jetons » n’ayant cours que dans les « économats » de l’entreprise.
En toute hypothèse, le salarié doit être mis en mesure de vérifier la loyauté du règlement : une loi du 04 mars 1931 a rendu obligatoire, sous peine d’amende, la délivrance par l’employeur d’un bulletin de paye qui permet aux salariés de vérifier l’exactitude de la somme versée. Afin de permettre le contrôle de l’inspecteur du travail, le législateur a institué un livre de paye, sur lequel doivent être reproduites les mentions figurant sur le bulletin de paye (art 44b). Moins que par l’éventuelle déloyauté de leur employeur, les salariés sont davantage menacés par l’éventuelle impécuniosité de celui-ci ou par l’âpreté de leurs propres créanciers. Le législateur s’est efforcé d’écarter cette double menace en privilégiant la créance du salaire et en la déclarant, pour une large part, insaisissable et incessible. Au cas d’insolvabilité de l’employeur, le privilège des salariés prévu par l’art 2101, 4° du code civil auquel renvoie l’art 47, liv I CT permet de protéger les salariés contre les créanciers de leur propre employeur. Renforçant la protection de droit commun, un décret loi du 8 août 1935 a institué au profit des salariés du débiteur failli ou mis en règlement judicaire un « super privilège ». Il garantit la fraction insaisissable du salaire pour les quinze derniers jours de travail, concernant les ouvriers, les trente derniers jours pour les employés et les quatre-vingt dix derniers jours pour les représentants de commerce. Enfin, des dispositions légales appropriées protègent le salarié contre l’action éventuelle de ses propres créanciers : le salaire n’est saisissable que dans des limites très strictes (art 61, CT) ; la portion saisissable est directement fonction du montant du salaire.