26 juin 1959 – Syndicat général des ingénieurs-conseils
Le pouvoir réglementaire autonome est soumis aux principes généraux du droit
Analyse

Par l’arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils, le Conseil d’État a jugé que le pouvoir réglementaire autonome est soumis au respect des principes généraux du droit. Cette décision fut d’autant plus remarquée que l’article 37 de la Constitution de 1958 avait considérablement étendu le champ du pouvoir réglementaire autonome, jusqu’alors confiné à des domaines strictement définis.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours dirigé contre un décret du 25 juin 1947 par lequel le Gouvernement avait réglementé la profession d’architecte dans les territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer. En vertu d’un sénatus-consulte du 3 mai 1854 resté en vigueur à la date du décret attaqué, le Gouvernement était autorisé à prendre, par décret, toute mesure relative aux colonies. Dans ces territoires, le pouvoir réglementaire était donc habilité à prendre des mesures qui, en métropole, n’auraient pu être édictées que par la loi. Dans la mesure où le pouvoir réglementaire pouvait ainsi agir dans le domaine de la loi, la question se posait de savoir s’il était soumis au respect des principes généraux du droit dégagés par la jurisprudence du Conseil d’État, alors qu’il est admis que ces principes, s’ils s’imposent au pouvoir réglementaire, n’ont pas de force contraignante à l’égard du législateur qui peut donc y déroger, dès lors qu’il le fait expressément. Le Conseil d’État a jugé que le pouvoir réglementaire agissant sur le fondement du sénatus-consulte de 1854 était “tenu de respecter d’une part les dispositions des lois applicables dans les territoires d’outre-mer, d’autre part les principes généraux du droit qui, résultant notamment du préambule de la Constitution, s’imposent à toute autorité réglementaire même en l’absence de dispositions législatives”.

L’arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils fut particulièrement remarqué, moins par la solution qu’il donna à l’espèce en cause, que par les conséquences de cette solution sur ce qui constituait, en 1959, l’une des principales innovations de la Constitution du 4 octobre 1958, le pouvoir réglementaire autonome reconnu, par l’article 37, au Gouvernement pour toutes les matières ne relevant pas du domaine de la loi, limitativement défini par l’article 34. Dès lors que le Gouvernement était ainsi investi d’un pouvoir qui ne se limitait pas à l’exécution des lois, il était particulièrement important de savoir si ce pouvoir serait, ou non, limité par des principes non écrits et définis de façon prétorienne par le juge administratif. L’arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils répondit par l’affirmative à cette question. Ainsi, le pouvoir réglementaire autonome reconnu au pouvoir exécutif par la Constitution de 1958 demeure soumis au respect des principes généraux du droit reconnus par le Conseil d’État, parmi lesquels il faut citer notamment le principe d’égalité, le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (voir Société du journal “L’Aurore”), le principe de continuité des services publics (voir Dehaene), le principe des droits de la défense (voir Dame Veuve Trompier-Gravier), la possibilité de former un recours contentieux contre les actes de l’administration, l’intangibilité des droits acquis (voir Dame Cachet).

Si le Conseil d’État statuant au contentieux s’est toujours borné à regarder les principes généraux du droit comme ayant une valeur supérieure aux actes du pouvoir réglementaire, le Conseil Constitutionnel a eu l’occasion de reconnaître à certains de ces principes une valeur constitutionnelle, assurant ainsi leur respect par le législateur lui-même (voir, par ex., pour le principe de continuité des services publics : décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979).

26 juin 1959 – Syndicat général des ingénieurs-conseils – Rec. Lebon p. 364