3 février 1989 – Compagnie Alitalia
Obligation pour l’administration d’abroger les réglements illégaux
Analyse

Par la décision Compagnie Alitalia, le Conseil d’État institue la faculté pour tout administré de demander, sans condition de délai, à l’administration d’abroger les actes réglementaires illégaux dès l’origine ou devenus illégaux du fait d’un changement dans les circonstances de fait ou de droit.

L’origine de la demande de la compagnie Alitalia concernait des remboursements de TVA qui lui avaient été refusés par l’administration sur le fondement de dispositions issues de l’annexe II au code général des impôts. La compagnie Alitalia estimait que ces dispositions réglementaires étaient contraires à la sixième directive du Conseil des communautés européennes relative à l’harmonisation des législations des États-membres en matière de TVA du 17 mai 1977. La société avait donc saisi le juge administratif de l’annulation de la décision par laquelle l’administration avait refusé d’abroger les dispositions de l’annexe II objet du litige.

Ce dernier a été l’occasion, pour le Conseil d’État, de préciser quelles sont les obligations de l’administration ainsi que les droits de l’administré s’agissant de l’abrogation des normes réglementaires illégales. La solution est d’autant plus intéressante que les normes en cause dans l’affaire de la compagnie Alitalia étaient issues à la fois d’un décret antérieur et d’un décret postérieur à la date à laquelle expirait le délai de transposition fixé par la directive.

Pour asseoir sa demande, la société se prévalait des dispositions de l’article 3 du décret du 28 novembre 1983 aux termes desquels l’autorité compétente est tenue de faire droit à toute demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, que ce règlement soit devenu illégal en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction ou que ce règlement ait été illégal dès sa signature.

Le premier cas ne pose pas de difficultés en soi puisqu’il avait été admis dès 1930 (Section, 10 janvier 1930, Despujol, p. 30). Toutefois, la jurisprudence avait précisé que la demande d’abrogation devait intervenir dans les deux mois suivant la modification des circonstances. En revanche, le second cas avait conduit à des jurisprudences nuancées, dans la mesure où le Conseil d’État admettait d’un côté que l’exception d’illégalité d’un règlement puisse toujours être invoquée sans condition de délai (29 mai 1908, Poulin, n° 25488, p. 580), mais jugeait, d’un autre côté, que les administrés ne peuvent plus demander l’abrogation d’un règlement illégal une fois le délai du recours contentieux expiré (Section, 30 janvier 1981, Ministre du travail et de la participation c/ société Afrique France Europe transaction, p. 32).

L’article 3 du décret de 1983 entendait faire échec à ces jurisprudences puisqu’il prévoit que la demande d’abrogation est recevable sans condition de délai et ceci même à l’encontre d’un règlement illégal dès sa signature. Sa légalité est toutefois douteuse : un décret peut-il imposer une obligation d’abrogation pour l’ensemble des actes réglementaires, c’est à dire également pour ceux des collectivités locales, alors qu’il appartient en principe au seul législateur d’encadrer la libre administration de ces dernières, et remettre en cause des principes dégagés par le Conseil d’État lui-même ?

Pour écarter ces difficultés, le Conseil d’État érigea en principes les facultés ouvertes aux administrés par l’article 3 du décret de 1983 et releva, non sans une certaine audace, que le décret de 1983 s’était inspiré de ces principes. Ce faisant, le Conseil d’État institue une faculté pour tout administré de demander, sans condition de délai, à l’administration d’abroger les actes réglementaires illégaux dès l’origine ou devenus illégaux du fait d’un changement dans les circonstances de fait ou de droit, ce qui peut être le cas lorsqu’intervient une directive communautaire.

La décision Alitalia est également remarquable en raison de la force qu’elle confère à l’obligation pour l’administration d’appliquer les directives communautaires. En effet, après avoir jugé que le gouvernement ne peut édicter de textes réglementaires incompatibles avec les objectifs d’une directive dont le délai de transposition est expiré (28 septembre 1984, Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France et des pays de d’expression française), le Conseil d’État juge que les autorités ne peuvent pas davantage laisser subsister dans l’ordre interne, postérieurement à ce même délai, des dispositions réglementaires devenues incompatibles avec de tels objectifs.

3 février 1989 – Compagnie Alitalia – p. Rec. Lebon 44