13 décembre 1889 – Cadot
Abandon de la théorie du ministre-juge
Analyse
Par cette décision, le Conseil d’État a affirmé qu’il était compétent pour connaître de tout recours en annulation dirigé contre une décision administrative, sauf si un texte en dispose autrement de façon expresse. Jusqu’alors le Conseil d’État n’était compétent pour connaître d’un recours en annulation que dans la mesure où un texte l’avait expressément prévu. A défaut, c’étaient les ministres qui disposaient de la compétence générale pour se prononcer sur les recours dirigés contre les décisions administratives.
M. Cadot était directeur de la voirie et des eaux de la ville de Marseille, lorsque cet emploi fut supprimé. Il réclama des dommages-intérêts et demanda au Conseil d’État d’annuler le refus que la ville lui opposa. Alors qu’aucun texte n’attribuait expressément au Conseil d’État la compétence pour connaître d’un tel recours, il se reconnut néanmoins compétent pour juger la requête de M. Cadot. Sans que l’arrêt ne précise sur quel raisonnement le Conseil d’État fondait sa compétence, il est clair qu’il fut sensible au souci d’assurer que toute décision administrative puisse être contestée devant un juge. A défaut d’un texte précisant quel est le juge compétent pour connaître d’un litige, il estima que la compétence lui revenait, les conseils de préfecture, ancêtres des actuels tribunaux administratifs, n’ayant alors qu’une compétence réduite. Cette décision marquait l’aboutissement d’un processus historique de renforcement constant de la juridiction administrative.
Les lois des 16-24 août 1790 et 16 fructidor an III avaient prévu que les contestations dirigées contre les décisions administratives devaient être adressées au ministre compétent, à charge pour lui et ses services de se prononcer sur ces contestations : c’était la théorie du “ministre-juge”. Le Conseil d’État fut institué quelques années plus tard, par la Constitution de l’an VIII ; il se vit attribuer une compétence pour se prononcer, dans certains domaines, sur les recours en annulation formés par les requérants contre les décisions administratives. Cette compétence restait limitée mais son champ s’étendit progressivement tout au long du XIXème siècle. Par ailleurs, jusqu’en 1870, le Conseil d’État fonctionnait selon le principe de la “justice retenue” : ses décisions n’étaient pas exécutoires tant qu’elles n’avaient pas été signées par le chef de l’État. Il est vrai que cette signature fut presque toujours donnée. La loi du 24 mai 1872 permit au Conseil d’État de passer de la justice retenue à la justice déléguée, c’est-à-dire que ses décisions devenaient exécutoires dès leur lecture, le chef de l’État, ni aucune autre personne extérieure à la juridiction, n’étant plus appelé à les signer.
L’arrêt Cadot parachève cette évolution en reconnaissant au juge administratif la compétence générale pour connaître des recours dirigés contre les décisions administratives. Le principe qu’il pose suivant lequel toute décision d’une autorité administrative doit pouvoir être contestée devant un juge demeure à la base du droit administratif. Toutefois, depuis 1889, l’organisation au sein de la juridiction administrative a connu d’importants aménagements. Depuis 1953, la compétence de premier ressort de droit commun a été transférée du Conseil d’État vers les tribunaux administratifs, qui ont remplacé les anciens conseils de préfecture, le Conseil d’État ne conservant qu’une compétence de premier ressort limité à certaines matières. A partir de 1987, la compétence d’appel de droit commun a été progressivement transférée du Conseil d’État vers les Cours administratives d’appel, le Conseil d’État ne gardant, outre sa compétence de premier ressort, qu’une compétence d’appel très restreinte, devenant le juge de cassation de l’ensemble de la juridiction administrative.
13 décembre 1889 – Cadot – Rec. Lebon p. 1148