Atlantico : En début de mois, un homme a été arrêté à Houston en raison de l’envoi d’un mail à caractère pédopornographique. Google a du scanner les mails de l’individu, utilisateur de Gmail, pour accéder au message en question, avant d’en faire état aux autorités locales. Les citoyens ont-ils plus à gagner en termes de sécurité qu’à perdre en termes de liberté à ce genre de pratiques ?
Etienne Drouard : Il y a en effet un gain en terme de sécurité, mais il se fait aux dépends de la liberté. Pratiquer un scann généralisé des conversations pour trouver un ou quelques criminels, c’est partir du principe que l’ensemble des individus sont potentiellements coupables et à ce titre là c’est sacrifier la liberté de tout un groupe pour attraper potentiellement un pédophile. C’est avec ce genre de démarche que l’on finit par installer un gendarme par foyer pour s’assurer qu’il n’y a pas de violences conjugales.
Le fait est, pourtant, que c’est une démarche légitime, puisqu’il s’agit de protéger la société. C’est pourtant comme cela qu’on la prive de ses libertés les plus essentielles. Dans les faits, Google est davantage soutenu par la morale que la loi. La loi fixe comme principe sacré le secret des correspondances et impose aux postiers, fournisseurs d’accès, opérateurs de téléphonies mobiles, réseaux de mails, etc, de ne pas prendre connaissance du courrier qu’ils sont supposés transporter. Toutefois, s’il s’avère qu’ils ont fortuitement connaissance d’un élément répréhensible, ils sont dans l’obligation de le rapporter aux autorités. La démarche qu’a eue Google dans le cas présent est différente : il a mis en place une reconnaissance faciale des enfants victimes de pédophilie qui lui permet d’identifier automatiquement ces mêmes enfants quand ils apparaissent dans des mails scannés. Ce scan s’est fait de façon spontanée, violant donc le secret des correspondances, pour mener à une délation légitime, morale, mais néanmoins illicite. Google précise dans le contrat de ses conditions d’utilisations qu’il s’arroge le droit de scanner les données qui transitent notamment via Gmail. En conséquence, les uniques limites à ses possibilités sont techniques et morales. Mais il faut garder à l’esprit que la morale de Google est une variable susceptible d’évoluer selon sa politique. C’est une démarche qui tend à saper la liberté de toute la société sous prétexte que parmi les citoyens peuvent se cacher quelques criminels.
Pour autant, la lutte contre la pédophilie et la pédopornographie représente une priorité. Jusqu’où peut-on aller ?
En droit français, un prestataire technique connait une obligation de vigilance. S’il n’a pas le droit de scanner des courriers comme cela a été fait, il est contraint de prévenir les autorités quand il découvre des contenus illicites. Egalement, il peut être saisi d’une demande concernant un individu spécifique et suspect, dans le cadre d’une enquête par exemple, et dans ce cas exercer une surveillance. Pour autant, l’autorité judiciaire n’a pas le droit d’ordonner un scan global sur plusieurs personnes dans l’espoir de trouver potentiellement un pédophile non identifié. Elle ne peut pas non plus prendre le problème à rebours et remonter jusqu’à un criminel depuis un contenu illicite. Pour autant, dans ce cas précis, l’affaire aurait pu être traitée de la même façon. Dans le cadre de la pédophilie et de la pédopornographie, le juge pénal admet comme recevable des éléments de preuves illégales. Si un courrier est ouvert de façon illicite mais permet de découvrir un contenu illégal, on considère que l’acte illicite est « blanchi » par cette découverte.
A qui revient la mission de traque que Google s’est octroyé ?
C’est une mission qui revient aux autorités et non à Google. Concrètement, Google n’est qu’un point de passage par lequel transitent des informations auquel il peut donc avoir accès. Adopter cette attitude est très bénéfique pour Google mais pas altruiste pour autant : en effet, attraper les pédophiles n’est probablement pas le but premier de Google bien que cela soit le resultat à terme. Google cherche en vérité à déplacer ces comportements sur d’autres services que Gmail pour s’éviter de coûteuses procédures pénales. L’effet recherché, ça n’est pas de réduire le nombre de pédophiles, c’est de baisser le nombre de pédophile sur Gmail, ainsi que de se forger une image de marque « vertueuse », tout en faisant oublier que Google scan l’ensemble des courriers, ne serait-ce que pour pouvoir proposer des publicités adaptables en fonctions des centres d’informations qui ressortent dans les conversations.
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