Problématiques de la fiscalité pétrolière aval en Afrique : exemple du
Cameroun
Par
Stéphane Essaga*
La fiscalité pétrolière aval au Cameroun comme dans beaucoup d’autres, s’entendant
l’ensemble des prélèvements de droits et taxes dans la chaîne de la production et de la
distribution des produits pétroliers, est caractérisée par l’adjonction d’une fiscalité spécifique
(taxe assise sur les volumes produits) avec la taxe spéciale sur les produits pétroliers (TSPP)
d’une part instituée par la Loi des Finances 1984/1985, mais aussi par une fiscalité de droit
commun intégrant la taxe sur le chiffre d’affaires devenue taxe sur la valeur ajoutée d’autre
part (TCA/TVA).
Le mécanisme de la TSPP ne pose aucun problème particulier d’application, malgré la
forte implication de la Caisse de Stabilisation des Prix des Hydrocarbures d’une part, et
l’évolution fluctuante des affectations de ces recettes depuis la Loi des Finances 1998/1999.
Toutefois c’est le régime de la TCA/ TVA des produits pétroliers qui est source de
complexité, de spécificité et de contentieux.
HISTORIQUE DE LA TAXATION DES PRODUITS PETROLIERS AU
CAMEROUN
A l’origine, les textes semblent clairs : seuls le supercarburant et le gasoil sont
taxables à la TCA (ordonnance N°94/004du 16 février 1994 portant fiscalité des produits
pétroliers).
La loi des finances 1998/1999 exonère quant à elle le pétrole lampant et le gaz
domestique à titre de produits de première nécessité, tous les autres produits ( fuel, bitumes,
jet A1…) étant explicitement taxables à la TVA suivant les dispositions de la loi de finances
2000/2001.
Toutefois, malgré le principe de fixation libre des prix édicté par la loi N°90/031 du 10
août 1990 régissant l’activité commerciale au Cameroun (article 12), l’arrêté
N°65/MINDIC/DPFC du 8 juin 1994, en conformité avec la loi sus visée qui donne cette
possibilité, énonce que le super, le gasoil, le pétrole lampant et le gaz domestique font l’objet
de fixation homologuée de prix.
En 1995, un autre arrêté (N°0078/MINEFI/CSPH du 4 juillet 1995), exclu les bitumes,
les cuts backs et le fuel 180 de la procédure d’homologation administrative.
Conformément à son objet (article 2 du décret 74/458 du 10 mai portant création et
organisation d’une caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures), la CSPH a alors produit
une circulaire (N°2344/MINEFI/SG/CSPH du 31 décembre 1997) relative à la détermination
des éléments constitutifs des prix des produits pétroliers.
AFRITAXES
En tout état de cause, l’origine des problèmes de taxation de ces produits (1) conduit à
dégager les problématiques à élucider dans le cadre de cette réflexion (2).
ORIGINE DES PROBLEMES RENCONTRES
A la suite de la vérification générale de comptabilités des distributeurs professionnels
des produits pétroliers pour les années allant de 1997/1998 à 1999/2000, l’Administration
fiscale a considéré que seuls sont imposables à la TCA/TVA le super et le gas-oil, les autres
étant exonérés. Dès lors, elle a envisagé l’application du prorata de déduction, ce que les
compagnies pétrolières concernées ont contesté en arguant qu’en fait l’intégralité des produits
pétroliers est taxable à la TCA/TVA.
Les arguments de ces derniers ont essentiellement été articulés autour de la
composition des prix considérés comme exonérés par l’Administration, qui à certains postes
était grevé de TVA d’une part. D’autre part, ils ont fait valoir que la stricte application du
prorata de déduction revenait à appliquer une des articulations fortes certes de son régime,
mais partiellement, du moment où ils ne pouvaient collecter de TVA « normalement » sur les
ventes des produits prétendument taxables, car homologués.
Par souci d’équité, les parties litigantes assistées de la Caisse stabilisation des Prix des
Hydrocarbures (CSPH) sont arrivées à un compromis, mettant entre parenthèses la stricte
application du prorata de déduction. Cette exception a continué lors des deux saisons
suivantes de contrôles de ces compagnies, où le redressement sur le prorata n’a plus jamais
été retenu dans les conditions légales.
Entre-temps, la lettre circulaire N°8560/MINFIDI du 4 mars 1994 du Ministre des
Finances adressée aux sociétés pétrolières, certaines mesures particulières et isolées ont exigé
à celles-ci de faire figurer distinctement la TVA acquittée auprès de la SONARA lors de leurs
facturations aux industriels, pour leur permettre une déduction de la TVA facturée par la
SONARA aux marketers, et alléger le coût de cet approvisionnement.
Il est clair de ce qui précède que le régime de la TVA des produits pétroliers
homologués est donc spécifique, fortement « administrativé », et il importe, dans une
dynamique de normalisation du secteur, de clairement identifier la problématique centrale à
résoudre.
COMMENT CONTROLER LES PRIX DES CARBURANTS SANS ALTERER LE
REGIME FISCAL DE DROIT COMMUN ?
La TVA incorporée dans la structure de prix souffre d’une coexistence contre-nature
d’éléments régulièrement taxés (prix sortie SONARA, cabotage, redevance portuaire et
passage SCDP par exemple) et de prestation faussement taxée (TVA sur distribution) compte
tenu de la contrainte de contrôle de prix.
Dans la pratique, cette situation entraîne deux problèmes majeurs :
– les produits domestiques que sont le super et le gazole ne peuvent être considérés comme
effectivement taxés à la TVA tel qu’édicté par l’ordonnance N°94/002, alors que quand
bien même c’est le cas, c’est à partir d’un tarif fixe (3,6 par litre en 2002, 1,5 de janvier à
AFRITAXES
juillet 2005, 2,5 d’août à décembre 2005, 2,50 aujourd’hui en 2008), ne correspondant pas
aux règles classiques de TVA;
– L’agrégation de toutes ces taxes au coût global du produit aggrave les coûts d’exploitation
des marketers, qui les comptabilisent en charge et ne déduisent que la TVA sur frais
généraux, investissements et biens et services autres que les produits pétroliers.
En d’autres termes, la structure des prix des produits pétroliers met en échec
l’application des règles classiques de la TVA tant en ce qui concerne la TVA collectée, que
des règles relatives à la déductibilité de celle-ci.
Partant de cette spécificité, les marketers ont opposé une résistance à se voir appliquer
la règle du prorata de déduction lors des vérifications générales de comptabilité diligentées
par la Direction des Impôts d’alors, estimant que cela revient à chercher à appliquer une des
règles essentielles de la TVA à l’exclusion d’autres autant importantes.
Cela conduit à une incertitude en matière de fiscalité des produits pétroliers,
notamment en matière de TVA. Ces incertitudes conduisent à appliquer un système non
conforme aux textes en vigueur et sont source d’insécurité juridique pour les compagnies de
distribution de produits pétroliers.
ESQUISSES DE SOLUTIONS
En ce qui concerne l’Administration fiscale, ses propositions doivent viser une
normalisation du régime de taxation autant que faire se peut avec les règles de droit commun,
mais aussi tendre vers une sécurisation des recettes relatives à cette activité. Les solutions
possibles à la résolution de ces problématiques sont largement tributaires de la volonté des
pouvoirs publics et de l’ingiénerie adoptée dans la gestion de la structure des prix
En l’état actuel des choses, la logique de réglementation des prix des produits
pétroliers domestiques semble maintenue par les pouvoirs publics même dans un contexte de
libéralisation généralisée de l’activité économique. Dès lors, une libéralisation totale des prix
avec une fiscalité inhérente classique n’est pas envisageable.
Or il est également constant que la fiscalité des produits pétroliers elle-même constitue
plus de 65% de la structure du prix, ce qui conduit à penser que c’est cette mannette que l’Etat
doit activer pour contenir les coûts, ceci d’autant plus que certains intervenants importants de
la chaîne estiment que les coûts de leurs prestations sont sous-évalués (SCDP), et devraient
faire l’objet d’une hausse pour assurer la pérennité de leur activité.
L’instrumentalisation de la fiscalité aux fins de modulation des prix pétroliers est au
demeurant ce qui est fait actuellement par le biais de trois actions récurrentes :
– l’institution d’une TSPP négative sur le pétrole lampant, consistant pour l’Etat à
abandonner une partie de sa créance de TSPP sur le super et le gasoil à concurrence de
cette taxe négative, en contrepartie du différentiel négatif de prix qu’il impose sur le
pétrole lampant ;
AFRITAXES
Il s’agit par ce biais d’une véritable subvention d’équilibre ou d’exploitation
née de l’insuffisance de prix administré sur ce produit de première nécessité.
-La modulation des TVA sur distribution, qui sont fixées de façon spécifique, par litre
vendu de produit et non ad valorem d’une part, et ajusté suivant le prix définitif souhaité
par les pouvoirs publics.
– L’exonération de TVA du pétrole lampant et du gaz domestique.
Toutefois, ce mode de régulation a des conséquences négatives sur le système fiscal
camerounais pour la raison essentielle que la nature de la taxe jouant le rôle de modulateur, la
TVA, relève de tout un régime abouti dont les articulations sont nouées entre elles,
contrairement à la TSPP, à gestion plutôt aisée.
Fausser le taux de TVA à titre de contrôle de prix résout donc un problème ponctuel et
en cause un autre, en limitant la capacité de récupération de la taxe d’amont des marketers.
De ce constat se dégage une proposition tendant à fédérer les préoccupations tant
économiques que fiscales, largement influencée par l’ancien système français de taxation des
produits pétroliers.
En France, il existe également une forte taxation des produits pétroliers, représentants
75% environ de la structure (droits de douanes et fiscaux compris).
La taxe intérieure de consommation (article 265 du code des Douanes) coexiste avec la taxe
sur la valeur ajoutée, avec l’institution par la loi de finances 2001 d’une modulation de cette
TIPP pour le super, le gas-oil, le fuel-oil ainsi que des carburéacteurs autres, le pétrole
lampant à usage de carburant ou de combustible et du white-spirit à usage de combustible.
Les taux de la TIPP sont modifiés à la hausse ou à la baisse lorsqu’il est constaté une
variation cumulée du cours du pétrole brut « Brent daté » sur une période de deux mois
(janvier, février, mars-avril ….) supérieure à 10% par rapport à la période de cotation ayant
entraîné la dernière modification intérieure. Les tarifs de la taxe intérieure frappant les
produits concernés sont corrigés d’un montant égal à la variation, en valeur absolue, de la
moyenne des prix hors taxes de ces produits, multipliée par le coefficient de 0,16388
représentatif de l’incidence de la TVA.
Les périodes considérées pour effectuer les comparaisons sont identiques à celles
retenues pour le calcul du pétrole brut. Les corrections de TIPP sont effectuées tant à la baisse
qu’à la hausse, sans jamais pouvoir dépasser le taux légal.
S’agissant de l’amorce d’une réflexion de fond sur la réforme de la fiscalité des
produits pétroliers, il convient au préalable de définir une orientation réaliste et réalisable de
réforme, qui ne peut que s’appuyer sur les constantes incompressibles du système en vigueur,
à savoir la logique du contrôle des prix d’une part, et celle de modulation des éléments fiscaux
dans cette dynamique d’autre part.
Dès lors et au regard du système français, il importe de réguler les prix à partir de la
TSPP, taxe spécifique à régime simplifié, et garder une taxation à la TVA dans les conditions
de droit commun, pour éviter une complexification de son suivi. Il est clair que dans cette
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hypothèse, les scenarii de modulations des prix ne peuvent qu’être envisagés conjointement
qu’avec la CSPH, pour la double raison que le niveau d’aggravation des cours du brut ces
dernières années est maîtrisé par cette structure, ainsi que les autres éléments fixes des
structures de prix. Il s’agirait alors d’envisager une déductibilité intégrale des TVA d’amont
figurant dans la structure de prix, une taxation par les marketers au taux normal de la TVA
sur une base intégrant entre autres la TSPP liquidée avec modulation dans des conditions à
déterminer conjointement.
La démarche devrait pouvoir aboutir en une TVA normalisée, en la sécurisation d’un
seuil de recettes en matière de TSPP et même en un allègement des comptes des entreprises et
du prix à la pompe. C’est au demeurant l’orientation partiellement prise par les pouvoirs
publics en cette année 2008 vue l’augmentation de la facture énergétique, avec une réduction
substantielle notamment de la TSPP (- 20 FCFA sur le super, fixée désormais à 100 FCFA, et
– 5 FCFA sur le Gasoil, pour une TSPP de 60 FCFA désormais contre 65 FCFA.
Malheureusement, le régime de TVA demeure baroque et spécifique, ce qui conduit à
constater juste la résolution du problème des consommateurs sans encore celui des
intervenants principaux dans la chaîne de distribution.
*Membre du Comité de rédaction d’Afritaxes
Membre de l’Association Internationale des Négociateurs Pétroliers de Houston
Membre de l’Energy Institute de Londres