EKOUDOU
(Bastos)
Ekoudou est une destination quasi-inconnue des habitants de Yaoundé. Tout le monde parle, par contre, plus aisément de Bastos. Dans la réalité, les deux appellations renvoient au même quartier. Tout commence 1943 (ou 1936, selon les sources), lorsque le Français Jean Basos crée une usine de fabrication et de commercialisation de tabac qui porte son nom au village Ekoudou. C’est une zone de savane que quelques uns nomment «quartier désert » et ses habitants les «désertiques». « On y voyait même des animaux sauvages se balader», se souvient aujourd’hui Pierre Ekobena.
La société de tabac devient rapidement un pôle industriel. Ainsi, bien que ses cadres soient des expatriés l’entreprise recrute de nombreux jeunes. La moyenne d’âge de ses quelques 200 employés est de 32 ans en 1950, et sera déterminante pour l’installation de nouvelles populations. Elle attire des personnes venues d’horizons à la recherche comme l’a chanté André Marie Talla, «d’une vie meilleure».
Ce mouvement de personne entraîne l’émergence de plusieurs activités. Le commerce prend pied avec deux bars dont «Parapluie où le jeune Pierre Ekobena exerce alors comme serveur en période de vacances scolaires. Il y a aussi une boulangerie, tenue par un Grec qui prétend cacher du pain dans son ventre pour expliquer son obésité.
Le commerce du sexe voit égale ment le jour. La nuit tombée, de jeunes filles flânent dans la zone de l’actuel Carrefour Bastos à la recherche de «clients». Progressivement, «la savane» s’urbanise. Les autochtones, expropriés pour les besoins de la cause, sont dirigés vers d’autres sites tels que Nlongkak, Ntougou, Tsinga, Djoungolo…
Les premières missions diplomatiques s’installent au lendemain de l’indépendance (vers 1965). Pierre Ekobena explique ce phénomène par le fait que des résidences avaient été construites dans la zone pour les dirigeants de l’usine Bastos. L’implantation des premiers Occidentaux a un effet d’entraînement. A telle enseigne que les autres «Blancs» qui arrivent au Cameroun, à la faveur de l’établissement de relations diplomatiques avec le nouvel Etat, sont orientés vers Ekoudou qui devient, rapidement, le quartier des ambassades qui, à ce jour, serait le seul où l’on retrouve autant de représentations diplomatiques en Afrique centrale.
Le coin continue d’attirer des populations, ces ambassades ayant de plus en plus besoin de main d’œuvre. Progressivement aussi, l’usage fait que le nom «Bastos», qui désigne au départ la seule usine du même nom, est élargi aux résidences des cadres, à celles des diplomates, aux ambassades et plus tard à tout le quartier. Ekoudou s’éclipse ainsi au profit de Bastos : la savane cède la place à la ville.
Bastos est un quartier multiculturel, multiethnique et multiracial dans lequel cohabitent des populations venues de tous les horizons. Initialement rattaché à Nlongkak, Bastos n’existe comme chefferie autonome que depuis 1965. Pierre Ekobena estime que les relations entre les habitants se déroulent en bonne intelligence. Il en veut pour preuve le fait que certains de ses notables ne sont pas Tsinga (originaires d’ Ekounou).
L’usine qui a donné son nom à Bastos n’existe plus, mais ses locaux sont occupés par une autre entreprise de tabac. Les résidences des cadres ont été rachetées par privés, et certaines servent de siège à l’organisation non gouvernementale World Wild Fund for Nature (Wwf).
A coté des ambassades et autres résidences cossues qui font sa renommée, Bastos est aussi connu pour ses restaurants chinois. Par ailleurs, l’inflation immobilière atteint des sommets à Bastos il arrive que le mètre carré y plafonne à 50 000 francs, voire plus. Pierre Ekobena. relativise l’opinion qui voudrait que les autochtones de Bastos soient riches car, par le passé, les terrains n’étaient pas vendus mais cédés en échange de nourriture et de boissons. Aujourd’hui, le terrain est certes coûteux mais, malheureusement, il est aussi rare. Celui qui veut s’enrichir doit désormais vendre sa propre portion ou sa maison. En ce qui le concerne, le chef désigné il n’est pas officiellement installé) confie n’avoir jamais participé à me transaction de vente de terrain «A 48 ans, je n’ai même jamais assisté à une négociation. J’ai toujours les problèmes fonciers de parce qu’ils sont la source de grandes querelles.»
Les problèmes, le quartier résidentiel le plus connu de Yaoundé et même du Cameroun en connaît. A coté des litiges fonciers souvent s à la double vente de terrains par des familles divisées, l’anarchie dans les constructions a poussé, il ya quelques semaines, le délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine à procéder à une campagne de déguerpissement. Les constructions dans les bas-fonds ont également entraîné une «verticalisation» du quartier, exposant les populations aux inondations et aux éboulements de terrain, en même temps qu’elles portent un coup au plan d’urbanisation du quartier.
Les résidents commencent aussi à se plaindre de l’insécurité grandissante, qu’ils expliquent par les nombreux débits de boisson qui attirent toutes sortes d’individus. Pierre Ekobena, par ailleurs juriste et chargé d’études assistant au ministère de l’administration territoriale, espère que l’œuvre de déguerpissement du gué Gilbert Tsimi Evouna permettra d’embellir le quartier et de le débarrasser de certaines personnes à la moralité douteuse.
Il émet néanmoins des réserves quant aux modalités et mécanismes de cette opération : « Demander à des gens de partir après 30 ans, pour certains, sans leur proposer des solutions de rechange peut être dangereux pour la paix sociale ». Pierre Ekobena souhaite qu’un dialogue soit engagé entre les pouvoirs publics et les populations. Au plan personnel, « Peco » dit sa volonté de connaître physiquement des administrés, de savoir qui est qui et d’inviter les uns et les autres à des discussions visant à entreprendre des activités d’éveil de la communauté. Il projette de répartir Bastos en blocs avec des responsables en charge de recueillir les attentes des populations.
Au rang de ses besoins, le chef Ekobena déplore le manque d’aires de jeu ou de loisirs, dont l’inexistence favorise le vice au détriment de l’émulsion culturelle. Parlant de culture, le destin de Bastos semble désormais lié au gigantesque projet de construction d’un centre multiculturel au nom d’Africréa, engagé il y a 9 ans et qui est le symbole même de l’éclectisme du quartier. Son initiateur, Malet ma Njami (Mal Jam), originaire de la Sanaga Maritime, est un notable de bastos et un ami du chef, qu’il soutient dans ses efforts de dialogue et de cohabitation pacifique des communautés. Il se dit convaincu que Bastos, avec Pierre Ekobena comme chef et des patriarches tels que Philibert Edzoa et Antangana balla en appui, a son avenir devant lui.
Ghislain Ayina
Tsinga, une histoire de migration
Les Tsinga, comme plusieurs autres communautés du Cameroun, apparaissent comme un peuple migratoire. Ce clan, explique Pierre Ekobena, vient de la région du Mbam (on en retrouve encore à Mbangassina). La légende parle d’une histoire de serpent, sur le dos duquel les Tsinga ont pu traverser le fleuve Mbam pour migrer vers d’autres régions du pays. Ils iront s’établir sur la route de Mbalmayo, ou encore dans les actuels quartiers Nlongkak, Ekoudou et Tsinga.
A propos de Tsinga, deux versions s’affrontent concernant l’installation des populations. Le chef désigné de Bastos pense que l’implantation de ses ancêtres dans le quartier du même nom résulterait de mouvements partis du Mbam. D’un autre côté, dans ses recherches répertoriées dans le site HYPERLINK
http://www.ongola.com www.ongola.com, Dominique Obama estime que ce sont les populations d’Ekoudou, expropriées pour des besoins d’urbanisation, qui ont migré vers le village voisin Ntougou où elles s’installent au détriment des autochtones, les Mvog Ekoussou, de sorte que Ntougou change d’appellation et rend le toponyme Tsinga, correspondant à celui des nouveaux habitants.
Quoi qu’il en soit, pierre Ekobena considère Tsinga comme un prolongement de Bastos, où son lignage fut le premier à s’installer. Mais, autant les Tsinga investissement des terres libres ou occupées par d’autres peuples, autant d’autres populations s’installent dans leur village au point ou eux-mêmes s’y retrouvent aujourd’hui minoritaires.
Toujours jeune …
Jusqu’au milieu des années 90, il était courant d’entendre dire d’une personne qu’elle est «bastos». Cela ne signifiait nullement que le concerné résidait ou était originaire du quartier Bastos. Par là, il fallait juste comprendre que la personne était jeune ou, malgré son âge plus ou moins avancé, gardait l’allure d’un jouvenceau.
L’explication est à chercher du coté de l’usine de cigarettes qui a donné son nom au quartier. La société recrutait en effet beaucoup de jeunes, et la grande majorité des employés était constituée de cette catégorie sociale. A l’époque, la moyenne d’âge des quelque 200 salariés était de 32 ans Ce profil dans les recrutements a fait de l’entreprise se le symbole de la jeunesse. Il fut même un temps où l’entreprise affichait fièrement, sur ses plaques publicitaires «Bastos toujours jeune »…
Et, puisque le nom sert à identifier, le sien a endossé l’image qu’elle véhiculait. Conséquemment, «Bastos» est devenu un adjectif signifiant «jeune». Une poignée de nostalgiques continue d’utiliser l’expression pour dire d’un proche qu’il ne vieillit pas.