Comprendre le sénat camerounais revient à investiguer sur les deuxièmes chambres des parlements. Pour cela je vais aller à l’essentiel et à l’universel.
A l’essentiel en posant à titre liminaire quelques unes de ces questions qui viennent à l’esprit quand on évoque le sénat. Qu’est ce que c’est ? En quoi il se distingue de l’Assemblée nationale ? Qu’est ce qu’il lui ajoute en quantité et en qualité ?
A l’universel dans la mesure où on réfléchit aujourd’hui en tenant compte de ce que le droit constitutionnel, comme l’économie, se mondialise lui aussi.
Dans cette perspective essentialiste et universaliste, je dirai qu’une « deuxième Chambre » est une assemblée qui participe aux fonctions que la constitution attribue au Parlement, notamment quant à l’exercice d’une compétence législative générale.
On recense à travers le monde, pas moins de quatre vingt constitutions qui prévoient une deuxième Chambre. Ce chiffre démontre l’importance que prend aujourd’hui cette institution qui se trouve à la fois dans les pays peuplés de la planète (fédération de Russie, Argentine Etats unis, Egypte) comme dans certains petits Etats (Bahamas, Bahreïn, Antigua, Barbuda, Barbade, Belize, les îles Fidji, Grenade, Jamaïque, Lesotho, Sainte-Lucie, Trinité et Tobago, Oman). Le nombre des deuxièmes Chambres a proliféré à l’époque contemporaine sous les formes les plus diverses. Cette prolifération a concerné depuis les années quatre vingt dix, la Croatie, le Liban, la Slovénie, la Mauritanie, la Roumanie, la Pologne, la République Tchèque, le Nigéria, la Fédération de Russie, le Gabon, l’Ethiopie, Madagascar, le Cameroun, le Tchad, l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Algérie, le Burkina Faso, le Sénégal, le Cambodge, Oman, le Yémen, le Burundi, la Tunisie et Bahreïn. Le bicaméralisme existait déjà à Athènes (Akklesia et boulé) comme à Rome (Sénat et comice du peuple) et à Carthage (Sénat).
Les deuxièmes Chambres ne se présentent pas selon un modèle uniforme et homogène. Chaque Chambre exprime, en ce qui la concerne, la réalité nationale de son pays, la diversité des sociétés qu’elle représente. D’ailleurs, les deuxièmes Chambres ont des dénominations très variées : Chambre des Lords, Sénat, Bundesrat, Conseil des Etats, Conseil de la République, Chambre des conseillers, etc.
Contrairement aux premières Chambres, qui ont une même source de désignation, une plénitude de compétences et des pouvoirs et des statuts comparables, les secondes Chambres n’ont pas un mode de recrutement uniforme, ni des compétences similaires, ni un statut spécifique avec des traits suffisamment communs pouvant les rapporter à un modèle.
La valeur ajoutée du bicaméralisme
Le parlement cherche à être le miroir de la société. Un parlement complexe reflète l’organisation de l’Etat devenu lui-même complexe. L’Etat décentralisé ne peut pas s’accommoder d’un parlement monocaméral.
Le Sénat contribue à améliorer la technique législative. L’existence de deux chambres au parlement permet la division du travail parlementaire. Elle garantit le double examen, ce que les juristes appellent la navette législative. Elle est le gage d’une confrontation d’idées et sert une meilleure qualité de la législation.
Le Sénat garantit le droit d’amendement des projets et propositions de loi de l’Assemblée nationale. Les amendements tendent à corriger les erreurs matérielles, rectifier les inexactitudes, combler les lacunes, parfaire la rédaction des textes, toutes choses qui ne sont pas mineures quand il s’agit de textes juridiques. Cela se traduit par une plus grande précision de la loi, une législation plus appropriée.
Le bicaméralisme Camerounais
La constitution affirme le caractère unitaire et décentralisé de l’Etat camerounais (article 2 alinéa 2). L’article 20 crée Sénat qui représente les collectivités territoriales décentralisées. Cela signifie que le Sénat a une vocation spécifique à représenter les populations en tant qu’elles s’insèrent dans des collectivités locales qui sont des communautés administratives constituées à la fois d’un territoire et d’une population et qui sont gérées par des élus locaux. Mais la deuxième phrase de cet article, « sept sénateurs sur 10 par région sont élus au suffrage universel indirect » permet de comprendre que le sénat émane indirectement du suffrage universel par l’intermédiaire des collectivités territoriales décentralisées. Si on articule cette disposition avec celle de l’article 2 qui stipule que « la souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l’exerce soit par l’intermédiaire du président de la République et des membres du parlement, soit par voie de référendum », le suffrage peut être direct ou indirect, il est toujours universel, égal et secret, l’on comprend que la représentation des collectivités territoriales décentralisées n’est qu’une forme particulière de la représentation de la nation. Ceci parce que la collectivité territoriale décentralisée est une collectivité de citoyens, qui est une composante de la communauté nationale dans l’Etat unitaire. D’où il suit que le principe de la représentation des collectivités territoriales est à l’origine de la composition spécifique du sénat, qui lui permet de représenter la nation d’une manière différente. La différence entre l’assemblée nationale et le sénat ne se situe donc pas au niveau de la ou des personnes représentées, mais seulement au niveau des modalités de la représentation. La représentation des collectivités territoriales n’étant qu’une modalité de la représentation du peuple. Une représentation indirecte qui emprunte une voie bien précise : le peuple désigne des sénateurs par l’intermédiaire d’un collège électoral composé majoritairement d’élus locaux (les délégués des départements et les représentants du commandement traditionnel).
Chaque région est représentée au Sénat par dix (10) sénateurs dont sept (7) sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et trois (3) nommés par le Président de la République.
La durée du mandat des sénateurs est de cinq (5) ans.
Le pouvoir d’initiative du sénat
Le Sénat camerounais adopte les lois à la majorité simple des sénateurs. Il peut apporter des amendements ou rejeter tout ou partie des textes soumis à son examen.
Avant leur promulgation, les lois peuvent faire l’objet d’une demande de seconde lecture par le Président de la République. Dans ce cas, les lois sont adoptées, à la majorité absolue des sénateurs.
Seules cinq deuxièmes chambres ne disposent pas du droit d’initiative dans le monde. Il s’agit de l’Algérie, des Pays bas, des iles Fidji, du Lesotho, et de la Tunisie.
Le pouvoir de décision du sénat
Les textes entrent au parlement par l’assemblée nationale qui, après les avoir adoptés les transmet aussitôt au président du Sénat. Le Président du Sénat, dès réception des textes les soumet à la délibération du Sénat. Ce dernier, dans un délai de dix (10) jours à partir de la réception des textes ou dans un délai de cinq (5) jours pour les textes dont le Gouvernement déclare l’urgence, peut :
a- Adopter le texte. Dans ce cas, le Président du Sénat retourne le texte adopté au président de L’Assemblée Nationale qui le transmet dans les quarante – huit (48) heures au président de la République aux fins de promulgation.
b- Apporter des amendements au texte.
Les amendements, pour être retenus, doivent être approuvés à la majorité simple des sénateurs. Dans ce cas, le texte amendé est retourné à l’Assemblée Nationale par le Président du Sénat pour un nouvel examen. Les amendements proposés par le Sénat sont adoptés ou rejetés à la majorité simple des députés. Le texte adopté définitivement est transmis par le président de l’Assemblée Nationale au Président de la République pour promulgation.
c- Rejeter tout ou partie du texte.
Le rejet doit être approuvé à la majorité absolue des sénateurs.
Dans ce cas, le texte en cause, accompagné de l’exposé des motifs du rejet, est retourné par le Président du Sénat à l’Assemblée Nationale, pour un nouvel examen.
L’Assemblée Nationale, après délibération, adopte le texte à la majorité absolue des députés.
Le texte adopté définitivement par l’Assemblée Nationale est transmis au Président de la
République pour promulgation.
Le droit d’amendement est reconnu à la plupart des secondes chambres, à l’exception de l’Algérie, du Cambodge et des Pays bas.
Le contrôle du Gouvernement
Le Parlement contrôle l’action gouvernementale par voie des questions orales ou écrites et par la constitution des commissions d’enquêtes sur des objets déterminés. Le Gouvernement, sous réserve des impératifs de la défense nationale, de la sécurité de l’Etat, ou du secret de l’information judiciaire, fournit des renseignements au Parlement. Au cours de chaque section ordinaire, une séance par semaine est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement.
La limitation de l’initiative en matière financière
Dans de nombreux pays, l’initiative en matière financière est réservée à l’Assemblée nationale. Mais au Cameroun, comme en France , il est interdit aux membres des deux assemblées, d’émettre des propositions de loi ayant pour effet soit une diminution des ressources publiques soit une aggravation des charges publiques sans réduction à due concurrence d’autres dépenses ou création de recettes nouvelles d’égale importance.
En revanche, au Cameroun, du moins en l’état actuel du droit, le Sénat ne vote pas la loi des finances de la même manière qu’il ne signe pas la motion de censure, toutes ces prérogatives restant, l’apanage de l’assemblée nationale. Un peu comme les Parliament Acts de 1911 et 1949 ont restreint les pouvoirs de la Chambre des Lords en Grande Bretagne, dans le domaine financier.