OBILI
C’est la gorge nouée que Gabriel Okeng, receveur municipal de la Commune d’arrondissement de Yaoundé IIe, évoque le passé du village qui l’a vu naître. Une histoire marquée par une succession d’expropriations de ses ancêtres Emveng de leurs foyers originels qu’étaient alors Olézoa et Ngoa-Ekelle. Ainsi, les autochtones d’Obili sont devenus des gens « sans terre ». Et le nom « Obili » qui semble comme prémonitoire traduit à suffisance cette tragédie : il vient e la déformation du mot français « obligatoire ».
En effet, selon les anciens, vers 1934 que les Mvog Atemengue, les Ndong mais aussi et surtout les Emveng, ont été expropriés de leurs terres e déplacés « obligatoirement » de leur village, basé dans l’espace qu’abrite actuellement, entre autres institutions, l’Assemblée Nationale, le quartier général de l’armée et l’Ambassade de France. Les ancêtres de Gabriel Okeng étaient aussi propriétaires coutumiers des terres sur lesquelles ont été érigés l’université de Yaoundé I, le Lycée Leclerc. « Dans le seul but de satisfaire les intérêts coloniaux, les Français avaient entrepris de déménager les familles Emveng sur le site actuel d’Obili.
Une décision qui n’avait pas notre assentiment. Mais de guerre lasse, nous nous y sommes rendus « Obila » c’est-à-dire de force (obligatoirement) en langue éwondo, explique Gabriel Okeng.
Les Emveng deviennent ainsi les personnes sans terre, des « Palestiniens » du Cameroun. Ils sont depuis la nuit des temps, ballotés au gré de l’édification de la ville de Yaoundé. « Le plus grave, s’insurge M. Okeng, c’est que nos parents furent déguerpis successivement de ces endroits sans aucune contrepartie, avant de nous installer pour certains à Olezoa, et pour d’autres à Obili et au Carrefour des Carreaux, non loin de l’actuelle base aérienne ».
Cette expropriation sans indemnisation, sur plus de 80ha, va finir par émouvoir Charles Atangana, qui, en sa qualité de chef supérieur des Ewondo et Bene, devient leur avocat défenseur. « Monsieur le Commissaire de la République , en qualité de Chef supérieur des Yaoundé-Bene, j’ai l’honeur de soumettre à votre bienveillant examen les requêtes de mes ressortissants… Avant la guerre de 1914, lorsqu’il était question de l’expropriation du terrain inculte de Ngoa-Ekelle, sur réclamation des autochtones, l’administration d’alors avait promis à ces indigènes une indemnité. (…) La question a été renvoyée ultérieurement du fait de la guerre. Vu la nécessité de l’installation des forces de police à cet endroit, le gouvernement français aura la paternelle sollicitude d’accorder, outre l’évaluation des cases et es cultures industrielles faite par la dernière commission, de verser une indemnité […] à tous les habitants de Ngoa-Ekelle (…) », écrit-il le 24 avril 1939 au Gouverneur général des colonies/commissaire de la République française au Cameroun. Cette missive restera lettre morte jusqu’à la disparition de son auteur.
Après le décès de Charles Atangana, l’Abbé Joseph Ndzinga, par ailleurs Conseiller Economique et Social, est désigné en 1940 pour assurer la défense de la collectivité Emveng sur tous les plans. Après moult démarches vaines de demande de réparation pour la perte de la terre de ses ancêtres au niveau local, il saisit finalement l’Organisation des Nations Unies sur le cas d’Obili. La résolution de la 4e commission de l’ONU , tenue en novembre 1953, est sans équivoque sur le sujet qui fâche les EMveng : « Considérant le rapport présenté par M. Ndzinga Joseph (Cameroun) relative à la compensation du payement de l’indemnité d’expropriation pour les terrains occupés par l’administration de tutelle. (…) considérant que le problème de leur réinstallation et recasement est d’intérêt capital et présente une nécessité. (…) Considérant que les collectivités ont subit un préjudice indéniable qui mérite un examen sérieux. (…) A cet effet, recommande l’administration de tutelle de trouver et concéder des parcelles de terrains aux populations évincées afin de permettre leur réinstallation ; recommande que ces terrains, une fois affectés à ces populations, les ayants droits auront la possibilité de les reconnaître selon les textes sur la procédure foncière en vigueur dans le territoire ».
Face à cette résolution, l’autorité tutrice est obligée d’affecter deux immeubles urbains à titre de compensation aux protestataires qui ont déjà été envoyés à Obili. « Je me dois de préciser que les deux parcelles qui devaient nous êtres restituées abritaient déjà le Palais de l’Assemblée Nationale et la Caisse Centrale de Coopération économique, que les colons ont été contraints de racheter à 10,8 millions de francs. Mais tout cet argent a été touché par le chef supérieur Martin Abé Atangana, en raison de son influence à l’époque. Une fois encore, on a été roulé », raconte M. Okeng. L’administration, informée de la façon d’agir peu amène de Martin Abéga Atangana, le chef de la région Nyong et Sanaga de l’époque, en signe d’apaisement, désignera aux Emveng menés par Joseph Manda Fils, le patriarche du village, une portion de terrain de 6,8ha. Une portion congrue, pour une collectivité forte de plusieurs familles. « Nous n’avions pas assez de terres pour cultiver. De ce fait, nos parents, agriculteurs comme tous les bantous, étaient incapables de subvenir aux besoins de leurs familles ». Le résultat est que, depuis sa création, Obili n’a pas pu produire 20 bacheliers et est resté, faute de terres, le terreau fertile d’une sous-scolarisation ambiante et de conflits fonciers permanents.
N’empêche qu’au fil du temps, Obili, est devenu ce quartier très populaire et cosmopolite qui abrite le camp de la garde présidentielle et l’Institut des Relations Internationales connu notoirement par es Yaoundéens pour être le fief de nombreux débits de boissons et même de la prostitution.
Obili en bref
Situation géographique : Commune d’arrondissement de Yaoundé III
Elites : Owona Assoumou (Directeur général des Aéroports du Cameroun),
Joseph Manda Fils (Ancien Maire de Yaoundé III), Otele Manda, maire de Yaoundé IV), Gabriel Okeng receveur de la mairie de Yaoundé II), COnsty EKA, promoteur culturel.
Populations autoctones :
Emveng, Mvog Atemengue et Ndong
Institutions : Garde Présidentielle, Institut des Relations Internationales du Cameroun.